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samedi 20 juillet 2019

Moi, Avocat de province qui vais bientôt mourir!

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Mourir, bien sûr, mais pas tout de suite.
C’est juste une accroche.
Encore que l’autre jour un ami parisien (je ne fais pas de discrimination) m’a téléphoné pour me dire sa détresse qu’il ne pouvait partager qu’avec moi : il venait de prendre sa carte vermeil.
Je le peux aussi mais m’y refuse, je suis avocat, toujours jeune et beau et conquérant.
Quand j’ai commencé dans cette profession, la télécopie n’était pas arrivée.
Je me souviens à l’époque d’un confrère corse me demandant si j’avais un fax ; réponse négative avec je ne sais quel argumentaire pour ne pas avouer que je ne savais pas ce que c’était.
Je suis avocat quand même !
Quand j’ai commencé, il y avait 400 avocats à Marseille ; 2400 aujourd’hui et le cœur de mon métier est resté le même.
Bien sûr, l’avocat est un acteur économique, ce qui signifie qu’il doit bien s’adapter au monde qui va et aux techniques.
J’ai donc sur la tête un casque du plus bel effet permettant d’utiliser la dictée vocale pour sévir sur les réseaux sociaux ou autres outils numériques.
Parce que c’est comme ça, parce que sinon c’est se trouver inadapté au monde réel et donc mourir professionnellement.
Souvent j’ai entendu le raisonnement selon lequel le nombre croissant d’avocats renforçait la profession permettant une augmentation générale du chiffre d’affaires et donc sa puissance.
Avocat de province, j’ai toujours considéré qu’il y avait là une erreur d’analyse parce que selon les bassins d’emploi le nombre croissant d’avocats générait un affaiblissement des structures professionnelles, une fragilisation, une paupérisation.
Et s’il est bien de vouloir conquérir de nouveaux marchés, cela ne sera qu’à la marge au moins pour les décennies à venir.
Je crois avoir entendu dire que le banquier marseillais de la profession estimait que 40 % des cabinets étaient financièrement fragiles.
Et je sais des confrères en grande difficulté, certains à la cinquantaine, quand c’est bien tard pour faire autre chose.
La profession, celle qui exerce le cœur du métier, c’est-à-dire celui d’auxiliaire de justice, est confrontée, réforme après réforme, à une vision administrative des choses rendant tout plus complexe.
Mais il en est ainsi probablement partout ailleurs, c’est comme ça.
Cela oblige à une rigueur extrême dans la gestion professionnelle, dans la gestion financière, dans la conceptualisation de son activité.
C’est la règle partout, rien de rare.
Ainsi donc vient donc maintenant la réforme des retraites.
Le régime des avocats est excédentaire, avec plus de quatre actifs pour un actif.
On peut estimer que dans quelques décennies cela posera difficulté quand les actifs actuels approcheront de la retraite dans la mesure où il paraît difficile de multiplier par quatre le nombre d’avocats.
Mais la réforme projetée est brutale.
Le taux de cotisation double sur 15 ans en deçà de 40 000 € de revenus bruts, c’est-à-dire pour la grande majorité des avocats.
Et cela pour parvenir à une retraite de base diminuée de 30 % par rapport à la retraite de base actuellement distribuée.
Soyons clairs, peut-être une telle réforme est-elle inévitable; je veux dire ici la marche vers un système unique ; mais les modalités sont d’une cruauté sans nom car on sait bien que beaucoup ne survivront pas à cette augmentation de charges.
Peut-être est-ce souhaité pour que l’avenir radieux de la profession soit celui des grands cabinets, des firmes, et que disparaisse l’avocat individuel de quartier ?
Comme dans les centres villes disparaissent les petits commerces.
Peut-être est-ce une vision économique réfléchie ?
Macro-économique.
Je me souviens d’un élu de la profession me disant, à l’époque de la suppression du stage, que cela était souhaité par les grands cabinets parisiens…
Ne rêvons pas, il y aura toujours les gros qui veulent manger les petits, mêmes s’ils portent tous la même robe
Mais, à l’heure où chacun se remet à parler d’humanité, de proximité, quel contre-exemple que cette évolution.
Car l’avocat traditionnel, c’est celui qui n’a pas le regard accroché au camembert de son logiciel de gestion, c’est celui qui a en lui quelque part ce petit plus d’humanité que peuvent avoir les médecins, les artisans, les paysans, les humains.
Oserais-je dire un peu de fantaisie un peu de poésie?
Il s’agit là d’un rôle social, pacificateur.
Si le taux de charges des professionnels augmente trop, ce rôle ne pourra plus être assuré car la gestion prévaudra et c’est normal.
Autrement dit, le rapport Delevoye, dans ses pages 37 à 43, même avec de bons sentiments exprimés est très inquiétant.
Déjà, on devine que les réserves financières du régime des avocats seront accaparées par l’État qui en laissera une modeste partie pour accompagner la convergence.
Les élus de la profession, souvent critiqués, et c’est normal car les élus sont toujours critiqués, parfois à raison, parfois à tort, auront donc à se battre là-dessus probablement.
Ils auront l’appui de tous car ils sauront faire preuve de transparence et car ce combat-là sera d’abord celui de ceux qui dirigent, nos généraux à nous, pour préserver au mieux tous ces jeunes à qui on a promis d’être des aigles.
Je les vois, si fragiles, mais tenant parfois ce discours étrange consistant à dire : nous sommes des avocats !  Comme si cela signifiait quelque chose dans une société qui reconnaît la seule puissance laquelle est souvent  la puissance financière.
Que les généraux me pardonnent, mais parfois tous ces grands mots masquent la réalité, un peu comme autrefois les nobles désargentés se glorifiaient de leur seul nom.
Il nous faut donc aujourd’hui être modestes, pour la plupart équivalents des cadres dans les entreprises, pas forcément supérieurs.
La grande majorité des avocats travaille comme je travaille et ont du mal à se reconnaître dans les discours grandiloquents parfois tenus en oubliant peut-être la défense du cœur de la profession comme on construit un très bel immeuble en omettant que les fondations s’altèrent.
Et alors, tout s’écroule.
Après tout, puisque j’ai droit à la carte vermeil, je veux bien exprimer des propos de vieux grincheux.
Ce qui n’empêche qu’il va falloir se battre contre Bercy, notre ennemi de toujours.