« – Sa morale a du
bon. – Il est mort à trente ans.
– Il changeait en vin
l'eau. – Ça s'est dit dans son temps.
– Il était de Judée.
Il avait douze apôtres.
– Gens grossiers. –
Gens de rien. – Jaloux les uns des autres.
– Il leur lavait les
pieds. – C'est curieux, le puits
De la samaritaine, et
puis le diable, et puis
L'histoire de
l'aveugle et du paralytique !
– J'en doute. – Il
n'aimait pas les gens tenant boutique.
– A-t-il vraiment
tiré Lazare du tombeau ?
– C'était un sage. –
Un fou. – Son système est fort beau.
– Vrai dans la
théorie et faux dans la pratique.
– Son procès est
réel. Judas est authentique.
L'honnête homme au
gibet et le voleur absous !
– On voit bien
clairement les prêtres là-dessous.
Tout change ;
maintenant il a pour lui les prêtres.
– Un menuisier pour
père, et des rois pour ancêtres,
C'est singulier ! –
Non pas ! Une branche descend,
Puis remonte, mais
c'est toujours le même sang ;
Cela n'est pas très
rare en généalogie.
– Il savait qu'on
voulait l'accuser de magie
Et que de son
supplice on faisait les apprêts.
– Sa Madeleine était
une fille. – A peu près.
– Ça ne l'empêche pas
d'être sainte. – Au contraire.
– Était-il Dieu ? –
Non. – Oui. – Peut-être. – On y croit guère.
– Tout ce qu'on dit
de lui prouve un homme très doux.
– Il était beau. –
Fort beau, l'air juif, pâle. – Un peu roux.
– Le certain, c'est
qu'il a fait du bien sur la terre.
– Un grand bien. Il
était bon, fraternel, austère ;
Il a montré que tout,
excepté l'âme, est vain ;
Sans doute il n'est
pas Dieu, mais certes il est divin.
Il fit l'homme
nouveau meilleur que l'homme antique.
– Quel malheur qu'il
se soit mêlé de politique ! »
Victor Hugo.
Recueil : Toute la
lyre (1888 et 1893).