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samedi 31 mars 2018

Bourgeois parlant de Jésus-Christ



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« – Sa morale a du bon. – Il est mort à trente ans.
– Il changeait en vin l'eau. – Ça s'est dit dans son temps.
– Il était de Judée. Il avait douze apôtres.
– Gens grossiers. – Gens de rien. – Jaloux les uns des autres.
– Il leur lavait les pieds. – C'est curieux, le puits
De la samaritaine, et puis le diable, et puis
L'histoire de l'aveugle et du paralytique !
– J'en doute. – Il n'aimait pas les gens tenant boutique.
– A-t-il vraiment tiré Lazare du tombeau ?
– C'était un sage. – Un fou. – Son système est fort beau.
– Vrai dans la théorie et faux dans la pratique.
– Son procès est réel. Judas est authentique.
L'honnête homme au gibet et le voleur absous !
– On voit bien clairement les prêtres là-dessous.
Tout change ; maintenant il a pour lui les prêtres.
– Un menuisier pour père, et des rois pour ancêtres,
C'est singulier ! – Non pas ! Une branche descend,
Puis remonte, mais c'est toujours le même sang ;
Cela n'est pas très rare en généalogie.
– Il savait qu'on voulait l'accuser de magie
Et que de son supplice on faisait les apprêts.
– Sa Madeleine était une fille. – A peu près.
– Ça ne l'empêche pas d'être sainte. – Au contraire.
– Était-il Dieu ? – Non. – Oui. – Peut-être. – On y croit guère.
– Tout ce qu'on dit de lui prouve un homme très doux.
– Il était beau. – Fort beau, l'air juif, pâle. – Un peu roux.
– Le certain, c'est qu'il a fait du bien sur la terre.
– Un grand bien. Il était bon, fraternel, austère ;
Il a montré que tout, excepté l'âme, est vain ;
Sans doute il n'est pas Dieu, mais certes il est divin.
Il fit l'homme nouveau meilleur que l'homme antique.
– Quel malheur qu'il se soit mêlé de politique ! »

Victor Hugo.
Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893).

lundi 26 mars 2018

Justice numérique, mort de l'Equité?

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La règle de droit est uniforme.
Parfois, elle est corrigée par l’équité qui est, au-delà du droit blafard, un adoucissement par le cœur.
Une appréciation humaine qui sera peut-être à la frange du droit strict mais aboutira à un jugement relevant de l’humanité autant que de la procédure et des lois
L’équité a quelque chose d’impressionniste.
On la voit s’exprimer à la Cour d’assises, au tribunal correctionnel, parfois, au tribunal d’instance et ailleurs.
Mais immanquablement quand existe un contact humain et quand l’expression est orale.
L’humanité ne s’exprime pas facilement au travers de conclusions juridiques écrites…
Le président de la conférence des procureurs exprimait sa faveur pour la création des tribunaux criminels justement par méfiance envers l’oralité des débats devant les cours d’assises où les jurés n’avaient pas entre les mains les divers tomes des dossiers.
Tout le mouvement de la procédure civile vise à évacuer la plaidoirie des avocats et à instituer une procédure numérique.
Avec cette idée qu’il convient, pour les choses simples, ou moins, de supprimer l’audience.
De supprimer l’oralité.
Peut-être y a-t-il ici quelque chose de difficilement évitable avec le développement du numérique, il faut bien le reconnaître.
Mais que l’on ne s’y trompe pas, cela ne se fera-t-il pas au préjudice de l’équité ?
Car plus la place est donnée à l’écrit à l’écran, moins la singularité de la relation humaine existe.
Le droit sera donc peut-être formellement parfaitement rendu mais avec ce mouvement constant de déshumanisation que la justice connaît.
Ne dit-on pas d’ailleurs que le juge d’instance, l’héritier de l'antique juge de paix, va disparaître.
Certes les premiers présidents de cour d’appel qui ont souvent perdu le lien avec la modestie du justiciable porteront peut-être un regard favorable sur cette évolution.
Je ne sais pas si c’est vraiment bon signe.
Mais Aristote ne serait pas heureux pour qui l’équitable est le correctif de la loi




mercredi 21 mars 2018

La déception BELLOUBET

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On ne veut pas se l’avouer, mais la Ve République est une république instable.
Certes pas au Parlement, mais au gouvernement et c’est pire.
La durée de vie des ministres est courte, très courte.
Cela signifie en pratique qu’ils n’ont pas réellement d’impact sur les politiques gouvernementales lesquelles finalement sont conçues par la haute administration, inamovible et intangible.
Aussi quand Madame BELLOUBET est arrivée, il y a eu comme un a priori favorable parce qu’elle était juriste, professeur de droit public, ancien Membre du Conseil constitutionnel.
C’est dire qu’elle a la connaissance du droit, de l’importance des équilibres dans une démocratie, de l’importance bien sûr du rôle de l’autorité judiciaire.
On voit bien, dans ce que l’on appelle aujourd’hui les démocratures, que les attaques contre les juges et les avocats sont symptomatiques d’un affaissement de la démocratie.
Depuis des décennies, il y a un mouvement dans la démocratie française qui vise à déjudiciariser, c’est-à-dire à réduire la sphère d’intervention du juge au profit de l’administration alors même que celle-ci a, en France, un rôle que l’on peut estimer excessif.
Madame BELLOUBET le sait dont la thèse de doctorat s’intitulait. : « Pouvoirs et relations hiérarchiques dans l'administration française »
Alors, oui, il y a une déception BELLOUBET.
Car le projet de réforme de la justice vise, au pénal, à restreindre le champ des libertés individuelles et c’est étonnant de sa part.
Pourquoi ne résiste-t-elle pas au ministère de l’intérieur ?
Car le projet de réforme de la justice vise, au civil, a encore plus déjudiciariser, à limiter le rôle des juges et des avocats et, dès lors à renforcer celui de l’administration, voire d’entreprises privées concernant des plates-formes numériques.
Si les avocats protestent c’est bien sûr pour défendre aussi comme on le dit leurs intérêts catégoriels, mais plus profondément parce que ce mouvement constant d’affaiblissement de la justice et du rôle du juge judiciaire à un moment même où le politique est en crise a comme un voisinage intellectuel avec ce mouvement vers la démocrature que l’on observe de par le monde.
Petit à petit, textes après textes, normes après normes, le régime politique évolue vers une société administrée et s’éloigne de ce jeu de contre-pouvoirs qui fait l’équilibre démocratique.
Chaque fois que l’on altère le rôle du juge et de l’avocat, on altère, qu’on le veuille ou non, le fonctionnement démocratique.
Ce mouvement fou de déjudiciarisation vise simplement à masquer la misère budgétaire et l’absence totale d’effort profond de la république pour avoir une justice qui fonctionne normalement.
On préfère plutôt l’amputer petit à petit.
Un doigt un orteil, un pied, une main et ainsi de suite.
Oui, il y a une déception BELLOUBET.


dimanche 18 mars 2018

L'Illumination de Paul Claudel

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"Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire et il me semblait que dans les cérémonies catholiques, considérées avec un dilettantisme supérieur, je trouverai un excitant approprié et la matière de quelques exercices décadents. C'est dans ces dispositions que, coudoyé et bousculé par la foule, j'assistai, avec un plaisir médiocre, à la grand-messe. Puis, n'ayant rien de mieux à faire, je revins aux vêpres. Les enfants de la maîtrise en robes blanches et les élèves du petit séminaire de saint Nicolas du Chardonnet qui les assistaient, étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être la Magnificat. J'étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l'entrée du choeur à droite du côté de la sacristie. Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie. En un instant mon coeur fut touché et je crus. Je crus, d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée, n'ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher."

dimanche 11 mars 2018

« La Rose et le Réséda »

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À Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fût de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
A la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda
Louis Aragon, mars 1943 (repris dans La Diane française, 1944)

samedi 10 mars 2018

La gestion du temps vue par Sénèque

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Suis ton plan, cher Lucilius; reprends possession de toi-même : le temps qui jusqu'ici t'était ravi, ou dérobé, ou que tu laissais perdre, recueille et ménage-le. Persuade-toi que la chose a lieu comme je te l'écris : il est des heures qu'on nous enlève par force, d'autres par surprise, d'autres coulent de nos mains. Or la plus honteuse perte est celle qui vient de négligence ; et, si tu y prends garde, la plus grande part de la vie se passe à mal faire, une grande à ne rien faire, le tout à faire autre chose que ce qu'on devrait. Montre-moi un homme qui mette au temps le moindre prix, qui sache ce que vaut un jour, qui comprenne que chaque jour il meurt en détail ! Car c'est notre erreur de ne voir la mort que devant nous : en grande partie déjà on l'a laissée derrière; tout l'espace franchi est à elle.

Persiste donc, ami, à faire ce que tu me mandes : sois complètement maître de toutes tes heures. Tu dépendras moins de demain, si tu t'assures bien d'aujourd'hui. Tandis qu'on l'ajourne, la vie passe. Cher Lucilius, tout le reste est d'emprunt, le temps seul est notre bien. C'est la seule chose, fugitive et glissante, dont la nature nous livre la propriété ; et nous en dépossède qui veut. Mais telle est la folie humaine : le don le plus mince et le plus futile, dont la perte au moins se répare, on veut bien se croire obligé pour l'avoir obtenu; et nul ne se juge redevable, du temps qu'on lui donne, de ce seul trésor que la meilleure volonté ne peut rendre.

Tu demanderas peut-être comment je fais, moi qui t'adresse ces beaux préceptes. Je l'avouerai franchement : je fais comme un homme de grand luxe, mais qui a de l'ordre ; je tiens note de ma dépense. Je ne puis me flatter de ne rien perdre ; mais ce que je perds, et le pourquoi et le comment, je puis le dire, je puis rendre compte de ma gêne. Puis il m'arrive comme à la plupart des gens ruinés sans que ce soit leur faute : chacun les excuse, personne ne les aide. Mais quoi! je n'estime point pauvre l'homme qui, si peu qu'il lui demeure, est content. Pourtant j'aime mieux te voir veiller sur ton bien, et le moment est bon pour commencer. Comme l'ont en effet jugé nos pères : ménager le fond du vase, c'est s'y prendre tard. Car la partie qui reste la dernière est non seulement la moindre, mais la pire