Préambule :
La Grande Mosquée de
Paris, institution créée par une loi d'État, est consciente de ses
responsabilités au sein de la communauté musulmane française, en termes de
réflexion, d'interprétation et d'éclairement religieux. Elle sait qu'il est de
son devoir d'accompagner les Français de confession musulmane sur leur chemin
spirituel.
Elle est soucieuse de
la montée en puissance, au sein de la société française et parmi tout un pan de
ses élites politiques, médiatiques et intellectuelles, d'une extrême
diabolisation de la minorité musulmane : l'islamophobie. Cette dernière est la
conséquence de l'islamopsychose, qui est une représentation délirante,
c'est-à-dire déconnectée de la réalité, de ce que sont réellement l'islam et
les Français de confession musulmane.
Elle s'alarme du fait
que l'islamophobie et l'islamopsychose françaises soient de nos jours
assurément comparables en gravité à l'antisémitisme français de la fin du XIXe
siècle.
Elle condamne la
tendance actuelle à vouloir désigner des autorités de tutelle, n'étant pas de
confession musulmane, aux fins d'encadrer avec paternalisme l'expression du
fait religieux musulman dans la société française : ceci, au mépris de la
liberté religieuse et de la séparation des églises et de l'État.
Elle s'inquiète de la
montée en puissance, au sein de la communauté musulmane française, d'une
interprétation erronée de l'islam, reposant sur une lecture du texte sélective,
partiale, et au premier degré, qui conduit à l'obscurantisme, à la pédanterie
ignorante, à la misogynie, au sectarisme, et au refus des valeurs
républicaines. Elle constate toutefois que les prêcheurs de cette lecture
égarée de l'islam sont marginaux en France, et que les croyants qui y adhèrent
sont minoritaires.
Elle constate que
selon les enquêtes sociologiques disponibles les plus récentes,
approximativement les trois quarts des Français de confession musulmane vivent
déjà dans un islam paisible, tolérant, bienveillant, républicain et laïc.
Elle constate que
cette immense majorité des Français de confession musulmane est demandeuse d'un
texte de clarification de leurs droits et devoirs dans leur foi.
Ouverte au dialogue
spirituel que ce texte ne manquera pas de susciter, la Grande Mosquée de Paris
exprime donc par la présente, à l'attention de la communauté musulmane
française mais aussi de tous les hommes et femmes de bonne volonté en France et
dans le monde, la présente Proclamation.
Proclamation :
1. L'islam en France
n'est ni un nouvel islam, ni une innovation. L'islam en France est simplement
la clarification du dogme au regard des réalités d'aujourd'hui. L'islam en
France est la résultante de la réinterprétation du texte dans le contexte,
c'est-à-dire l'ijtihad.
2. Tout musulman doit
prendre garde à ne pas chercher sa culture religieuse auprès de sources, de
prédicateurs, de prêcheurs télévisuels, qui ne sont pas reconnus par les
savants les plus respectés de la communauté. Il doit préférer directement lire
les écrits de tels savants. Il doit se prémunir en la matière du péché de
vanité, qui consiste à donner des leçons à autrui sur ce qu'est un bon ou un
mauvais musulman quand on n'a soi-même qu'une culture religieuse péremptoire,
superficielle et approximative.
3. Tout musulman doit
prendre garde à ne pas verser dans l'observation irréfléchie et obsessionnelle
de règles sans finalité spirituelle. Tout musulman doit se prémunir des
diversions superficielles, pour se concentrer sur le respect des principes
spirituels de sa foi.
4. Est musulman celui
qui croit en l'unicité d'Allah, dieu unique et universel, et en la révélation
divine faite au dernier prophète Mohammed (paix et bénédictions soient sur
lui).
5. Tout musulman a le
devoir de respecter l'éthique de réciprocité : il faut en tous points traiter
autrui comme l'on voudrait soi-même être traité. La tradition prophétique dit
en effet : « Vous ne serez musulmans que quand vous voudrez pour les autres ce
que vous voulez pour vous-mêmes. »
6. Tout musulman a le
devoir d'être miséricordieux : le saint Coran insiste sur la nécessité de
savoir pardonner.
7. Tout musulman a un
devoir de solidarité : il doit pratiquer l'aumône au bénéfice des plus pauvres,
à proportion de ses moyens.
8. Tout musulman a le
devoir de cultiver sa connaissance des sciences et des savoirs de tous ordres.
Il s'ensuit que l'obscurantisme, le refus de la science, le refus du progrès
scientifique, sont des lectures erronées de l'islam.
9. Allah a créé
l'Univers et tout ce qu'il contient. Les théories scientifiques actuelles les
plus avancées laissent sans réponse la question de la cause première de la
naissance de l'Univers. Il s'ensuit qu'elles sont compatibles avec l'islam.
10. Allah a créé l'humanité. Il n'y a nulle
contradiction entre la création de l'humanité selon le saint Coran, qui révèle
métaphoriquement qu'Adam a été façonné à partir de la terre, et les théories
scientifiques actuelles les plus avancées, selon lesquelles l'humanité a été
façonnée au fil de l'évolution successive d'espèces terrestres.
11. Allah a créé l'humanité en la voulant
fraternelle. Tout musulman doit donc militer en toutes circonstances pour la
paix et contre la guerre, pour la fraternité et contre le racisme, pour les
paroles de concorde et contre les paroles de haine.
12. Lorsqu'il entend quiconque asséner des
mensonges et des préjugés sur ce qu'est l'islam et sur ce que sont les
musulmans, la meilleure réponse d'un musulman est d'accomplir des actes de
bienfaisance.
13. Comme le rappelle la tradition prophétique,
la pratique de la prière ne doit en aucune manière produire du désordre ou du
trouble.
14. La France n'est pas une terre d'islam :
elle est une terre où coexistent plusieurs religions dont l'islam, ainsi que
des habitants qui sont athées ou agnostiques. Dans ce contexte, tout musulman
doit évidemment respecter les valeurs et les lois de la République française.
Par exemple, puisque le blasphème et la caricature religieuse sont autorisés
par la loi française, l'on peut s'en déclarer blessé ou offensé mais il ne faut
ni exiger leur interdiction ni réagir par la violence. Plus largement, bien
évidemment, nul musulman n'a le droit d'exiger que la France modifie ses
valeurs et ses lois pour convenir à sa propre foi, tout comme nul chrétien, nul
juif, nul athée, nul agnostique, n'en a le droit.
15. Au sens de la loi de 1905, la laïcité est
un principe de neutralité de l'État, de l'administration, des services publics,
et des fonctionnaires, en ce qui concerne les religions et la spiritualité. En
d'autres termes, la République française ne finance aucun culte, n'accepte
aucune demande formulée au nom d'un culte, ne favorise aucun culte, ne pratique
pas d'ingérence dans la vie d'un culte, et se contente de donner aux
communautés religieuses les mêmes droits et les mêmes devoirs qu'à toute
association d'habitants du pays, qu'elle soit cultuelle ou pas. Sa définition
ainsi rappelée, l'existence du fait religieux musulman dans la société
française est compatible avec la laïcité.
16. La laïcité n'est pas un principe
d'intolérance envers la manifestation du fait religieux dans l'espace public.
Celles et ceux qui veulent la redéfinir ainsi se fourvoient et méconnaissent
gravement la loi de 1905.
17. Concernant les versets consacrés au devoir
de chasteté et de pudeur en matière vestimentaire pour les hommes et les
femmes, il faut retenir le principe général d'une tenue vestimentaire pudique
en toutes circonstances, et non pas les vêtements précis qui sont cités. Il
s'ensuit qu'hommes et femmes de confession musulmane ont simplement le devoir
de s'habiller d'une façon décente.
18. Dans un esprit de contextualisation
nécessaire aux pratiques de la foi musulmane aujourd'hui, les châtiments
corporels, la polygamie, ne se justifient plus et n'ont plus lieu d'être. Dans
le même esprit, l'égalité entre hommes et femmes s'impose.
19. Dans ses relations sociales, familiales et
affectives, tout musulman doit faire preuve d'une maturité épanouie et
responsable.
20. Dans sa vie quotidienne, tout musulman doit
faire preuve de tempérance et chercher le juste milieu.
21. Tout musulman consomme de la viande halal.
La souffrance animale ne saurait être admise par Allah. Il est donc nécessaire
de réduire au maximum la souffrance causée à l'animal.
22. Durant le mois de Ramadan, tout musulman
s'abstient de boire, de manger, d'avoir des relations sexuelles, et de fumer
s'il est fumeur, depuis l'aube jusqu'au coucher du soleil, afin de commémorer
la révélation coranique. En cas d'incapacité, le croyant est tenu de remplacer
son jeûne par une aumône ou par le fait de jeûner un autre jour. Les personnes
malades, ainsi que les femmes durant leurs menstruations et leur grossesse,
sont dispensées du jeûne. La règle qui suspend le jeûne lorsque l'on est en
voyage ne vaut évidemment pas pour un trajet de quelques heures en train ou en
avion. En outre, le Ramadan implique que les musulmans fassent montre de
respect à l'égard du voisinage : il ne faut pas importuner la population,
notamment pendant la nuit.
23. Le prophète Mohammed (paix et bénédictions
soient sur lui) avait proclamé lui-même, au moyen de la Constitution de Médine,
que tous ceux qui croient en l'unicité d'Allah, qu'ils soient musulmans, juifs
ou autres, faisaient partie de la même communauté du Livre. Il s'ensuit que
toute forme d'antisémitisme est contraire à l'enseignement du prophète Mohammed
lui-même (paix et bénédictions soient sur lui). Plus largement, sur son
exemple, l'islam implique les vertus de tolérance et de bienveillance, car seul
Dieu est juge.
24. Il est explicitement interdit à tout
musulman de déclencher une guerre, car ce type de djihad n'est permis qu'en
situation de légitime défense contre un agresseur (Coran 2, 190). En outre, si
l'adversaire est disposé à faire la paix, les musulmans ont le devoir de
chercher eux aussi à obtenir la paix. Il s'ensuit que les criminels qui se
prétendent « djihadistes » sont des usurpateurs impies du djihad et par voie de
conséquence, des usurpateurs impies de l'islam, qui est la religion de la paix.
25. Le djihad le plus noble est l'effort de
maîtrise de soi, de dépassement de soi, pour atteindre les vertus du meilleur
des musulmans.
Fait à Paris, le 28
mars 2017.
Le recteur de la
Grande Mosquée de Paris,
Docteur Dalil
Boubakeur