Laissez-moi vous dire
la complainte de l’avocat normal.
Par le ténor du
barreau pénaliste, non plus que la firme anglo-saxonne ; mais l’avocat de votre
quartier, celui auquel on promet le destin du petit épicier : la mort ou l’ubérisation.
Celui-là s’adapte
comme il peut, au gré des avalanches législatives, des normes diverses et
variées, des évolutions technologiques.
Et, parmi celles-ci,
figure en bonne place la procédure électronique.
Heureux a-t-il été de
son avènement : elle est née, elle est née, la divine procédure !
Mais, visiblement,
les anges ne se sont jamais penchés sur son berceau.
Ainsi, il n’est pas
permis d’adresser à la juridiction une pièce jointe au-delà de 4 Mo, un timbre-poste,
quoi.
Ainsi, dans son
triste destin provincial, il s’est vu imposer un boîtier-modem qui a toujours
eu le mérite de faire rire les informaticiens avec sa modernité de minitel.
Mais enfin, vogue la
galère judiciaire, c’était quand même un progrès.
Seulement, voilà ; la
justice est sans papier.
Je ne parle pas, pour
être bien élevé, de papier hygiénique ; mais simplement des ramettes de papier,
celui que l’on met dans les imprimantes.
Celui-là, la justice
n’en a plus.
Il y a même, nous dit
le garde des sceaux, des tribunaux qui ne peuvent plus rendre leur jugement à
cause de cela : le papier.
Nous ne suggérerons
pas d’écrire les décisions de justice sur papier hygiénique…
Pendant que Madame
Taubira faisait le spectacle sur les plateaux de télévision, cette grande
misère de la justice a été une fois de plus occultée.
L’actuel Garde des
Sceaux parle enfin de justice sinistrée, en faillite comme l’Etat ; il
pourrait aussi lui être parlé des libertés publiques sinistrées, mais ce n’est
pas le débat.
Dans le monde
kafkaïen de l’avocat de province, il y a donc cette procédure électronique.
Il adressera la
juridiction par voie électronique son dossier.
Mais, pour autant, il
devra adresser un exemplaire papier de ses conclusions et de ses pièces
parfois.
Et cela, uniquement,
parce qu’il n’y a pas de papier dans les greffes pour imprimer.
Donc, ce sont les
avocats qui feront l’impression.
Et, la justice, elle,
ne fait pas grande impression.
À quoi bon une
procédure électronique, s’il faut la doubler de papier puisque les juridictions
sont fauchées ?
C’est absurde, me
direz-vous ?
C’est la justice de
votre pays.