"...En acceptant pour femmes celles-là seulement
qui satisfont au programme arrêté dans la Physiologie du mariage,
programme admis par les esprits les plus judicieux de ce temps, il
existe à Paris plusieurs espèces de femmes, toutes dissemblables : il y
a la duchesse et la femme du financier, l’ambassadrice et la femme du
consul, la femme du ministre qui est ministre et la femme de celui qui
ne l’est plus ; il y a la femme comme il faut de la rive droite et
celle de la rive gauche de la Seine. Foi de physiologiste, aux
Tuileries, un observateur doit parfaitement reconnaître les nuances qui
distinguent ces jolis oiseaux de la grande volière. Ce n’est pas ici le
lieu de vous amuser par la description de ces charmantes distinctions
avec lesquelles un auteur habile ferait un livre, quelque subtile
iconographie de plumes au vent et de regards perdus, de joie indiscrète
et de promesses qui ne disent rien, de chapeaux plus ou moins ouverts
et de petits pieds qui ne paraissent pas remuer, de dentelles anciennes
sur de jeunes figures, de velours qui ne sont jamais miroités sur des
corsages qui se miroitent, de grands châles et de mains effilées, de
bijouteries précieuses destinées à cacher ou à faire voir d’autres
oeuvres d’art.
Mais en province il n’y a qu’une femme, et cette pauvre femme est la femme de province ; je vous le jure, il n’y en a pas deux. Cette observation indique une des grandes plaies de notre société moderne. La jolie femme qui, vers avril ou mai, quitte son hôtel de Paris et s’abat sur son château pour habiter sa terre pendant sept mois, n’est pas une femme de province. Est-elle une femme de province, l’épouse de cet Omnibus appelé jadis un préfet, qui se montre à dix départements en sept ans, depuis que les ministères constitutionnels ont inventé le Longchamp des préfectures ? La femme administrative est une espèce à part. Qui nous la peindra ? La Bruyère devrait sortir de dessous son marbre pour tracer ce caractère..."
Mais en province il n’y a qu’une femme, et cette pauvre femme est la femme de province ; je vous le jure, il n’y en a pas deux. Cette observation indique une des grandes plaies de notre société moderne. La jolie femme qui, vers avril ou mai, quitte son hôtel de Paris et s’abat sur son château pour habiter sa terre pendant sept mois, n’est pas une femme de province. Est-elle une femme de province, l’épouse de cet Omnibus appelé jadis un préfet, qui se montre à dix départements en sept ans, depuis que les ministères constitutionnels ont inventé le Longchamp des préfectures ? La femme administrative est une espèce à part. Qui nous la peindra ? La Bruyère devrait sortir de dessous son marbre pour tracer ce caractère..."
"...Sachons-le bien ! la France au dix-neuvième siècle est partagée en deux
grandes zones : Paris et la province : la province jalouse de Paris,
Paris ne pensant à la province que pour lui demander de l’argent.
Autrefois Paris était la première ville de province, la Cour primait la
Ville ; maintenant Paris est toute la Cour, la Province est toute la
Ville. La femme de province est donc dans un état constant de flagrante
infériorité. Aucune créature ne veut s’avouer un pareil fait, tout en
en souffrant. Cette pensée rongeuse opprime la femme de province. Il en
est une autre plus corrosive encore : elle est mariée à un homme
excessivement ordinaire, vulgaire et commun. Les gens de talent, les
artistes, les hommes supérieurs, tout coq à plumes éclatantes s’envole
à Paris. Inférieure comme femme, elle est encore inférieure par son
mari. Vivez donc heureuses avec ces deux pensées écrasantes ! Son mari
n’est pas seulement ordinaire, vulgaire et commun, il est ennuyeux, et
vous devez connaître ce fameux exploit signifié à je ne sais quel
prince, requête de M. de Lauraguais, par lequel on lui faisait
commandement de ne plus revenir chez Sophie Arnoult, attendu qu’il
l’ennuyait, et que les effets de l’ennui, chez une femme, allaient
jusqu’à lui changer le caractère, la figure, lui faire perdre sa
beauté, etc. A l’exploit était joint une consultation signée de
plusieurs médecins célèbres qui justifiaient les dires de la
signification. La vie de province est l’ennui organisé, l’ennui déguisé
sous mille formes ; enfin l’ennui est le fond de la langue.
Que faire ? Ah ! l’on se jette avec désespoir dans les confitures et dans les lessives, dans l’économie domestique, dans les plaisirs ruraux de la vendange, de la moisson, dans la conservation des fruits, dans la broderie des fichus, dans les soins de la maternité, dans les intrigues de petite ville. Chaque femme s’adonne à ce qui, selon son caractère, lui paraît un plaisir. On tracasse un piano inamovible qui sonne comme un chaudron au bout de la septième année et qui finit ses jours, asthmatique, à la campagne. On suit les offices, on est catholique en désespoir de cause, l’on s’entretient des différents crûs de la parole de Dieu ; l’on compare l’abbé Guinaud à l’abbé Ratond, l’abbé Friand à l’abbé Duret. On joue aux cartes le soir, après avoir dansé pendant douze années avec les mêmes personnes dans les mêmes salons. Cette belle vie est entremêlée de promenades solennelles sur le mail, sur le pont, sur le rempart, de visites d’étiquette entre voisins de campagne. La conversation est bornée au sud de l’intelligence par les observations sur les intrigues cachées au fond de l’eau dormante de la vie de province, au nord par les mariages sur le tapis, à l’ouest par les jalousies, à l’est par les petits mots piquants.
Un profond désespoir ou une stupide résignation, ou l’un ou l’autre, il n’y a pas de choix, tel est le tuf sur lequel repose cette vie féminine et où s’arrêtent mille pensées stagnantes qui, sans féconder le terrain, y nourrissent les fleurs étiolées de ces âmes désertes. Ne croyez pas à l’insouciance ! L’insouciance tient au désespoir ou à la résignation..."
Que faire ? Ah ! l’on se jette avec désespoir dans les confitures et dans les lessives, dans l’économie domestique, dans les plaisirs ruraux de la vendange, de la moisson, dans la conservation des fruits, dans la broderie des fichus, dans les soins de la maternité, dans les intrigues de petite ville. Chaque femme s’adonne à ce qui, selon son caractère, lui paraît un plaisir. On tracasse un piano inamovible qui sonne comme un chaudron au bout de la septième année et qui finit ses jours, asthmatique, à la campagne. On suit les offices, on est catholique en désespoir de cause, l’on s’entretient des différents crûs de la parole de Dieu ; l’on compare l’abbé Guinaud à l’abbé Ratond, l’abbé Friand à l’abbé Duret. On joue aux cartes le soir, après avoir dansé pendant douze années avec les mêmes personnes dans les mêmes salons. Cette belle vie est entremêlée de promenades solennelles sur le mail, sur le pont, sur le rempart, de visites d’étiquette entre voisins de campagne. La conversation est bornée au sud de l’intelligence par les observations sur les intrigues cachées au fond de l’eau dormante de la vie de province, au nord par les mariages sur le tapis, à l’ouest par les jalousies, à l’est par les petits mots piquants.
Un profond désespoir ou une stupide résignation, ou l’un ou l’autre, il n’y a pas de choix, tel est le tuf sur lequel repose cette vie féminine et où s’arrêtent mille pensées stagnantes qui, sans féconder le terrain, y nourrissent les fleurs étiolées de ces âmes désertes. Ne croyez pas à l’insouciance ! L’insouciance tient au désespoir ou à la résignation..."
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