« Au demeurant, ce que
nous appelons d’ordinaire amis et amitiés, ce ne sont que des relations
familières nouées par quelque circonstance ou par utilité, et par lesquelles
nos âmes sont liées. Dans l’amitié dont je parle, elles s’unissent et se
confondent de façon si complète qu’elles effacent et font disparaître la
couture qui les a jointes. Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je
sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant : Parce que c’était lui, parce
que c’était moi.
Au-delà de mon discours et de ce que j’en puis dire
particulièrement, il y a je ne sais quelle force inexplicable et fatale,
médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant de nous être vus, et les
propos tenus sur l’un et l’autre d’entre nous faisaient sur nous plus d’effet
que de tels propos ne le font raisonnablement d’ordinaire: je crois que le ciel
en avait décidé ainsi. Prononcer nos noms, c’était déjà nous embrasser.
Et à notre première rencontre, qui se fit par hasard au
milieu d’une foule de gens, lors d’une grande fête dans une ville, nous nous
trouvâmes tellement conquis l’un par l’autre, comme si nous nous connaissions
déjà, et déjà tellement liés, que plus rien dès lors ne nous fut aussi proche
que ne le fut l’un pour l’autre. ».
(Montaigne, Essais,
livre 1, chapitre 28).
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