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dimanche 27 avril 2014

La solitude habitée

Après avoir, des années durant, essayé de réfréner cette habitude, j'y ai renoncé: je parle seul, en colloque singulier, du matin au soir.
Sous le regard attendri de ma douce; enfin, je crois.
Sous le regard goguenard de  mon assistante; j'en suis certain.
N'en déplaise aux moqueurs, c'est pourtant une attitude philosophiquement valable.
Car, enfin, la solitude est habitée si elle implique d'être seul avec soi-même, deux en un, selon la pensée d'Hannah Arendt.
C'est bien ce colloque singulier avec soi qui est indispensable pour acquérir une pensée libre, comme la sérénité de l'esprit.
Pour vivre.
Ce qui est à craindre, c'est donc l'esseulement, cette absence de dichotomie intérieure  qui nous rend seul face à l'autre; ou l'isolement, seul en l'absence des autres.
Je ne suis donc jamais seul avec ma solitude...
D'ailleurs, j'observe que le rituel catholique évoque désormais Jésus qui te parle et à qui tu dois parler comme un ami, ce qui conduit également à n'être pas seul, mais à éviter de lui dire des cochoncetés.
Il ne faut jamais, voyez-vous, négliger l'intelligence humaine des religieux et leur expérience de l'homme.
C'est une funeste erreur, je crois.
Bien sûr, si je parle à moi-même, je n'ai pas encore dit que j'étais Jésus; pas encore!
Les femmes sont tellement exigeantes que la mienne me demanderait des miracles; alors je tais ma divinité.
Pour l'instant.



lundi 21 avril 2014

la solitude selon Hannah Arendt

 
 
« La solitude implique que, bien que seul, je sois avec quelqu’un (c’est-à-dire moi-même). Elle signifie que je suis deux en un, alors que l’isolement ainsi que l’esseulement ne connaissent pas cette forme de schisme, cette dichotomie intérieure dans laquelle je peux me poser des questions et recevoir une réponse. La solitude et l’activité qui lui correspond, qui est la pensée, peuvent être interrompues par quelqu’un d’autre qui s’adresse à moi ou, comme toute activité, lorsqu’on fait quelque chose d’autre, ou par la simple fatigue. Dans tous ces cas, les deux que j’étais dans la pensée redeviennent un. Si quelqu’un s’adresse à moi, je dois maintenant lui parler à lui, et non plus à moi-même ; quand je lui parle, je change. Je deviens un : je suis bien sûr conscient de moi-même, mais je ne  suis plus pleinement et explicitement en possession de moi-même. Si une seule personne s’adresse à moi et si, comme cela arrive parfois, nous commençons à parler sous forme de dialogue des mêmes choses qui préoccupaient l’un d’entre nous tandis qu’il était encore dans la solitude, alors tout se passe comme si je m’adressais à un autre soi. Et cet autre soi, allos authos, Aristote le définissait à juste titre comme l’ami. Si, d’un autre côté, mon processus de pensée dans la solitude s’arrête pour une raison ou une autre, je deviens un aussi. Parce que ce un que je suis désormais est sans compagnie, je peux rechercher celle des autres — sous la forme de gens, de livres, de musique —, et s’ils me font défaut ou si je suis incapable d’établir un contact avec eux, je suis envahi par l’ennui et l’esseulement. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’être seul : je peux m’ennuyer beaucoup et me sentir très esseulé au milieu de la foule, mais pas dans la vraie solitude, c’est-à-dire en compagnie de moi-même ou avec un ami, au sens d’un autre soi. »
-- Hannah Arendt, "Responsabilité et jugement", éd. Payot