«
Le doute est le sel de l’esprit ; sans la pointe du doute, toutes les
connaissances sont bientôt pourries. J’entends aussi bien les
connaissances les mieux fondées et les plus raisonnables. Douter quand
on s’aperçoit qu’on s’est trompé ou que l’on a été trompé, ce n’est pas
difficile ; je voudrais même dire que cela n’avance guère ; ce doute
forcé est comme une violence qui nous est faite ; aussi c’est un doute
triste ; c’est un doute de faiblesse ; c’est un regret d’avoir cru, et
une confiance trompée. Le vrai c’est qu’il ne faut jamais croire, et
qu’il faut examiner toujours. L’incrédulité n’a pas encore donné sa
mesure.
Croire
est agréable. C’est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors dites
adieu à liberté, à justice, à paix. Il est naturel et délicieux de
croire que la République nous donnera tous ces biens ; ou, si la
République ne peut, on veut croire que Coopération, Socialisme,
Communisme ou quelque autre constitution nous permettra de nous fier au
jugement d’autrui, enfin de dormir les yeux ouverts comme font les
bêtes. Mais non. La fonction de penser ne se délègue point. Dès que la
tête humaine reprend son antique mouvement de haut en bas, pour dire
oui, aussitôt les rois reviennent. »
Alain, Propos sur les pouvoirs, §140.
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