…Au
milieu de cette place, mon père s'est arrêté, je lui tenais le
bras. Il n'avait pas besoin de cela pour marcher. Il m'a dit: « il
faut que je me mouche. Il s'est mouché avec son grand mouchoir à
carreaux. Un petit souffle suivi d'un autre puis d'un troisième. Il
a remis son mouchoir dans sa poche.
Pendant
ce temps, j'ai levé les yeux au ciel pour chercher l'étoile
polaire. Le ciel était marron, un mélange de noir de la nuit et
d'orange des lumières, une couleur laide, indéfinissable qui noie
la beauté du cosmos dans la pâleur électrique de la civilisation.
J'ai dit à mon père: « nous ne verrons pas notre étoile
polaire ce soir. » Il m'a répondu: « Non, ce soir le
ciel est couvert... » Puis il est mort debout; je l'ai couché
dans le néant; ses beaux yeux bleus le regardaient fixement. Il
aurait eu quatre vingt neuf ans deux mois plus tard....
Je
ne crois pas aux signes post-mortem. Mais je crois, pour l'avoir
vécu, expérimenté, que ce soir là, à ce moment, dans cette
occasion-là, mon père m'a transmis un héritage. Il m'invitait à
la rectitude contre les chemins de traverse, à la droiture contre le
zigzag, aux leçons de la nature contre les errances de la culture, à
la vie debout,à la parole pleine, à la richesse d'une sagesse
vécue. Il me donnait une force sans nom, une force qui oblige et qui
n'autorise pas.
Michel
Onfray, Cosmos
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