Tous
les cinq ou six ans la question de l’aide juridictionnelle revient dans
l’actualité et fait l’objet du même traitement qui s’apparente à ce
geste ménager de dissimuler la poussière sous le tapis.
Derrière
la question de l’aide juridictionnelle, se pose la question de l’accès
au droit, et plus encore de l’accès du citoyen au juge indépendant,
principe fondateur dans nos démocraties occidentales.
C’est
la raison de fond pour laquelle existe l’aide juridictionnelle devant
permettre aux citoyens démunis d’avoir accès au juge.
Et Madame Taubira était encore à Bruxelles pour rappeler les fortes exigences de la France à ce sujet.
Mais la réalité est différente.
D’abord
il existe peut-être une idéologie libérale que l’on voit en action dans
les négociations du traité TAFTA dans lesquelles les USA cherchent à
imposer le recours à l’arbitrage privé pour les états quand ils sont en
litige avec les entreprises.
L’arbitre privé que l’on rémunère plutôt que le juge indépendant gratuit.
On observera d’ailleurs le peu démocratique secret qui entoure ces négociations.
Curieusement, il en est un peu de même dans la préparation de cette justice du XXIe siècle que vante Madame Taubira.
Car
s’il est vrai que la justice doit changer, s’il est vrai que son rituel
est bien compassé, que le format du procès apparaît inadapté ; il est
vrai aussi que plutôt que de chercher à rénover, à refonder, il est
cherché à évacuer le juge.
Car
quand le ministère vante les modes alternatifs de règlement des
conflits, (MARD), il faut faire preuve de la plus grande prudence.
Bien sûr, encore une fois, le format du procès est désuet et chercher à privilégier une solution amiable est le préférable.
Ce que d’ailleurs la grande majorité des avocats ont toujours privilégié !
Mais il y a ici une double ambiguïté.
D’abord
une question idéologique qui vise à chercher à restreindre le domaine
d’intervention du juge indépendant pour le remplacer par une forme de
contractualisation de la justice et par des professionnels différents.
Lesquels
professionnels seront rémunérés par les parties, ce que l’on oublie
aimablement de dire et ce qui explique combien ce mouvement rencontre
l’adhésion de tous, de tous les lobbys, surtout.
Et
bien sur l’adhésion de Bercy parce que dans les années à venir de
nombreux magistrats vont partir à la retraite et que rien n’est prévu
pour les remplacer.
Par
ailleurs la justice est ruinée et il serait intéressant de savoir à ce
jour combien de tribunaux n’ont plus de papier, ne paient plus
l’électricité ou le téléphone.
Derrière en conséquence ce mouvement se cache seulement une pure logique comptable.
La justice dite du XXIe siècle comporte sa part d’hypocrisie.
Alors me direz-vous, l’aide juridictionnelle ?
Il
est difficile d’aborder ce thème parce qu’il y a une méconnaissance de
la profession d’avocat et que celle-ci n’est pas populaire.
Quand les avocats manifestent, ce sont d’indécents nantis.
Il
faut dire ici que dans sa grande majorité l’exercice professionnel des
avocats reste l’exercice classique d’avocat de quartier, même s’il est
vrai que la représentation nationale n’en tient pas ses comptes dans la
mesure la puissance financière est celle des grands cabinets d’affaires
et dans la mesure aussi où le rêve d’une grande profession puissante se
fait toujours sur la réalité des autres.
Il faut savoir que depuis 10 ans la profession d’avocat a augmenté en nombre de 40 %.
Il faut savoir que le chiffre d’affaires des cabinets a baissé, sauf erreur, de 2010 à 2014 d’environ 10 %.
Il
y a cet égard une erreur de la gouvernance de la profession qui a pensé
que l’augmentation du nombre des avocats générait une augmentation de
chiffre d’affaires et renforçait la profession.
C’est
pour partie une vue de l’esprit ; vous savez le gâteau qui n’augmente
pas ou plutôt diminue et les invités qui ont très faim et sont de plus
en plus nombreux.
Ce
nombre accru des professionnels, leur jeunesse, devrait d’ailleurs être
un facteur d’inquiétude pour ceux qui gouvernent la profession,
syndicats y compris, dans la mesure où leur rôle parfois ambigu suscite
la colère !
L’aide
juridictionnelle pose manifestement problème parce que le montant
accordé pour indemniser les professionnels du droit ne correspond pas à
la réalité économique et qu’en revanche celle-ci est un appauvrissement
des professionnels même.
Elle est accordée de manière administrative qui interroge.
Puisque
l’argent est rare, n’est-il pas temps de jeter un regard sur l’assiette
de cette aide et de la réserver aux domaines fondamentaux : logement,
liberté, travail plutôt que de ne l’accorder qu’en raison des ressources
et pas de la matière traitée ?
N’est-il
pas temps aussi d’accorder une aide en laissant plus de liberté aux
clients et à l’avocat, y compris d’un financement complémentaire ou
libre ?
Il est certain revanche que le système ne fonctionne absolument plus et chacun le sait.
Le fait qu’il y ait eu unité de la profession dans le dernier mouvement, encore en cours, est logique.
D’une
part le ministère, dont le logiciel intellectuel est archaïque, dont on
peut dire qu’il n’est pas géré puisque les démissions se succèdent et
que quelque part Madame Taubira est le ministre de la parole plus que de
la gestion, a prévu d’étendre le domaine de l’aide juridictionnelle et
de relever le plafond permettant y avoir droit.
Comme d’habitude, c’est bon pour l’image.
Pour
financer cela il était prévu un prélèvement sur les caisses de
règlement des avocats qui sont des organismes permettant de financer
également l’aide juridictionnelle, la formation, les consultations
gratuites, etc.…
Organismes dont la profession pourrait avouer que dans certaines villes, ils sont déficitaires.
D’autre part il était prévu de baisser la rémunération des avocats.
Soyons clair les avocats ont l’habitude de se faire rouler par la Chancellerie.
Il y a de temps en temps un mouvement avec un protocole d’accord dans lequel la main sur le cœur la chancellerie promet.
Ainsi en 2000, ainsi en 2007.
En 2007 un barème est réévalué, si je ne me trompe pas, barème qui n’a pas été réévalué depuis.
L’accord
que viennent de prendre les organismes représentatifs de la profession
avec la Chancellerie consiste à ne pas prélever sur des caisses
fragilisées une somme qui n’a pas à l’être et à remettre l’indemnisation
accordée au titre de l’aide juridictionnelle …au niveau de 2007.
Bel exploit !
Encore
une fois, il ne faut pas oublier que les temps ont changé, que les
avocats se sont multipliés et qu’on ne peut pas répéter à l’infini les
mêmes replâtrages.
Rien n’est réglé !
Après chacun aura son opinion : fallait-il transiger ou pas avec la Chancellerie ?
Ce
sont, dans l’avenir, les élections dans la profession d’avocats qui le
diront, comme la pression quotidienne que ses représentants subiron,
dont souvent les propos restent fondés sur une verticalité qui n’a plus
grand sens, intellectuellement y compris.
Ce qui est certain, c’est qu’encore une fois, on a mis la poussière sous le tapis.
La
seule question qui se pose est de savoir si dans les semaines et les
mois qui viennent, enfin le ministère fera son travail, sans se
contenter d’être soumis à Bercy et si les représentants de la profession
d’avocat, eux aussi, feront le leur.
Car, voyez-vous, la question de l’accès du citoyen au juge indépendant est un marqueur de la démocratie.
Même si, en France, on préfère souvent l’administration au juge indépendant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire