"On
a vu des fanatiques en tous les temps, et sans doute honorables à
leurs propres yeux. Ces crimes sont la suite d'une idée,
religion, justice, liberté. Il y a
un fond d'estime, et même quelquefois une secrète admiration,
pour des hommes qui mettent en jeu leur propre vie, et sans espérer
aucun avantage ; car nous ne sommes points fiers de faire si peu
et de risquer si peu pour ce que nous croyons juste ou vrai.
Certes, je découvre ici des vertus rares, qui veulent respect, et
une partie au moins de la volonté. Mais
c'est à la pensée qu'il faut regarder. Cette pensée raidie, qui
se limite, qui ne voit qu'un côté, qui ne comprend point la pensée
des autres, ce n'est point la pensée (...) Il y a quelque chose
de mécanique dans une pensée fanatique, car elle revient
toujours par les mêmes chemins. Elle ne cherche plus, elle
n'invente plus. Le dogmatisme est comme un délire récitant. Il y
manque cette pointe de diamant, le doute, qui creuse toujours. Ces
pensées fanatiques gouvernent admirablement les peurs et les désirs,
mais elles ne se gouvernent pas elles-mêmes. Elles ne cherchent
pas ces vues de plusieurs points, ces perspectives sur
l'adversaire, enfin cette libre réflexion qui ouvre les chemins
de persuader, et qui détourne en même temps de forcer. Bref,
il y a un emportement de pensée, et une passion de penser qui
ressemble aux autres passions."
Alain, Les passions et la sagesse
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire