« … s'il est une règle où
l'on ne peut guère reprocher à la grammaire de pécher contre la logique et la
clarté, c'est bien celle-là. (...) Quoi de plus lumineux ? Prenons un exemple :
«J'ai mangé la dinde.» Le complément d'objet direct «la dinde» est placé après
le verbe. Quand nous lisons «J'ai mangé», jusque-là nous ne savons pas ce que
ce type a mangé, ni même s'il a l'intention de nous faire part de ce qu'il a
mangé. Il a mangé, un point c'est tout! La phrase pourrait s'arrêter là. Donc,
nous n'accordons pas «mangé», et avec quoi dia
« … s'il est une règle où
l'on ne peut guère reprocher à la grammaire de pécher contre la logique et la
clarté, c'est bien celle-là. (...) Quoi de plus lumineux ? Prenons un exemple :
«J'ai mangé la dinde.» Le complément d'objet direct «la dinde» est placé après
le verbe. Quand nous lisons «J'ai mangé», jusque-là nous ne savons pas ce que
ce type a mangé, ni même s'il a l'intention de nous faire part de ce qu'il a
mangé. Il a mangé, un point c'est tout! La phrase pourrait s'arrêter là. Donc,
nous n'accordons pas «mangé», et avec quoi diable l'accorderions-nous ? Mais
voilà ensuite qu'il précise «la dinde». Il a, ce faisant, introduit un
complément d'objet direct. Il a mangé QUOI ? La dinde. Nous en sommes bien
contents pour lui, mais ce renseignement arrive trop tard. Cette dinde, toute
chargée de féminité qu'elle soit, ne peut plus influencer notre verbe «avoir
mangé», qui demeure imperturbable. Notre gourmand eût-il dévoré tout un troupeau
de dindes qu'il en irait de même : «mangé» resterait stoïquement le verbe
«manger» conjugué au passé composé. Maintenant, si ce quidam écrit «La dinde ?
Je l'ai mangée» ou «La dinde que j'ai mangée», alors là, il commence par nous
présenter cette sacrée dinde. Avant même d'apprendre ce qu'il a bien pu lui
faire, à la dinde, nous savons qu'il s'agit d'une dinde. Nous ne pouvons plus
nous dérober. Nous devons accorder,-hé oui. «Mangée» est lié à la dinde
(c'est-à-dire à «I'» ou à «que», qui sont les représentants attitrés de la
dinde) par-dessus le verbe, par un lien solide qui fait que «mangée» n'est plus
seulement un élément du verbe «manger» conjugué au passé composé, mais
également une espèce d'attribut de la dinde. Comme si nous disions «La dinde EST
mangée».
François Cavanna, Mignonne,
allons voir si la rose, Livre de Poche
ble l'accorderions-nous ? Mais
voilà ensuite qu'il précise «la dinde». Il a, ce faisant, introduit un
complément d'objet direct. Il a mangé QUOI ? La dinde. Nous en sommes bien
contents pour lui, mais ce renseignement arrive trop tard. Cette dinde, toute
chargée de féminité qu'elle soit, ne peut plus influencer notre verbe «avoir
mangé», qui demeure imperturbable. Notre gourmand eût-il dévoré tout un troupeau
de dindes qu'il en irait de même : «mangé» resterait stoïquement le verbe
«manger» conjugué au passé composé. Maintenant, si ce quidam écrit «La dinde ?
Je l'ai mangée» ou «La dinde que j'ai mangée», alors là, il commence par nous
présenter cette sacrée dinde. Avant même d'apprendre ce qu'il a bien pu lui
faire, à la dinde, nous savons qu'il s'agit d'une dinde. Nous ne pouvons plus
nous dérober. Nous devons accorder,-hé oui. «Mangée» est lié à la dinde
(c'est-à-dire à «I'» ou à «que», qui sont les représentants attitrés de la
dinde) par-dessus le verbe, par un lien solide qui fait que «mangée» n'est plus
seulement un élément du verbe «manger» conjugué au passé composé, mais
également une espèce d'attribut de la dinde. Comme si nous disions «La dinde EST
mangée».
François Cavanna, Mignonne,
allons voir si la rose, Livre de Poche
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