« Tels sont
nos Français, dit Dieu. Ils ne sont pas sans défauts. Il s'en faut. Ils ont
même beaucoup de défauts.
Ils ont plus
de défauts que les autres.
Mais avec tous
leurs défauts je les aime encore mieux que tous les autres avec censément moins
de défauts.
Je les aime
comme ils sont. Il n'y a que moi, dit Dieu, qui suis sans défaut.
Nos Français
sont comme tout le monde, dit Dieu. Peu de saints, beaucoup de pécheurs.
Un saint,
trois pécheurs. Et trente pécheurs. Et trois cents pécheurs. Et plus.
Mais j'aime
mieux un saint qui a des défauts qu'un pécheur qui n'en a pas. Non, je veux
dire :
J'aime mieux
un saint qui a des défauts qu'un neutre qui n'en a pas.
Or ces
Français, comme ils sont, ce sont mes meilleurs serviteurs.
Ils ont été,
ils seront toujours mes meilleurs soldats dans la croisade.
Or il y aura
toujours la croisade.
Enfin ils me
plaisent. C'est tout dire. Ils ont du bon et du mauvais.
Ils ont du
pour et du contre. Je connais l'homme.
Je sais trop
ce qu'il faut demander à l'homme.
Et surtout ce
qu'il ne faut pas lui demander.
O mon peuple
français, dit Dieu, tu es le seul qui ne fasse point des contorsions.
Ni des
contorsions de raideur, ni des contorsions de mollesse.
Et dans ton
péché même tu fais moins de contorsions.
Que les autres
n'en font dans leurs exercices.
Quand tu
pries, agenouillé tu as le buste droit.
Et les jambes
bien jointes bien droites au ras du sol.
Et les pieds
bien joints.
Et les deux
mains bien jointes bien appliquées bien droites.
Et les deux
regards des deux yeux bien parallèlement montant droit au ciel.
O seul peuple
qui regarde en face.
Et qui
regardes en face la fortune et l'épreuve.
Et le péché
même.
Et qui
moi-même me regarde en face.
Et quand tu es
couché sur la pierre des tombeaux.
L'homme et la
femme se tiennent bien droits l'un à côté de l'autre.
Sans raideur
et sans aucune contorsion.
Bien couchés
droits l'un à côté de l'autre sans faute.
Sans manque et
sans erreur.
Bien pareils.
Bien parallèlement.
Les mains
jointes, les corps joints et séparés parallèles.
Les regards
joints.
Les destinées
jointes. Joints dans le jugement et dans l'éternité.
Et le noble
lévrier bien aux pieds.
Peuple, le
seul qui pries et le seul qui pleure sans contorsion.
Le seul qui ne
verse que des larmes décentes.
Et des larmes
perpendiculaires.
Le seul qui ne
fasse monter que des prières décentes.
Et des prières
et des vœux perpendiculaires.
Peuple, les
peuples de la terre te disent léger parce que tu es un peuple prompt.
Les peuples
pharisiens te disent léger parce que tu es un peuple vite.
Tu es arrivé
avant que les autres soient partis.
Mais moi je
t'ai pesé, dit Dieu, et je ne t'ai point trouvé léger.
O peuple
inventeur de la cathédrale, je ne t'ai point trouvé léger en foi.
O peuple
inventeur de la croisade je ne t'ai point trouvé léger en charité.
Quant à
l'espérance, il vaut mieux ne pas en parler, il n'y en a que pour eux.
C'est
embêtant, dit Dieu, quand il n'y aura plus ces Français,
Il y a des
choses que je fais, il n'y aura plus personne pour les comprendre. »
Charles PEGUY,
Extrait de : « Le mystère des Saints Innocents »
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