Voter, ce n'est pas
précisément un des droits de l'Homme : on vivrait très bien sans voter, si l'on
avait la sûreté, l'égalité, la liberté. Le vote n'est qu'un moyen de conserver
tous ces biens. L'expérience a fait voir cent fois qu'une élite gouvernante,
qu'elle gouverne d'après l'hérédité, ou par la science acquise, arrive très
vite à priver les citoyens de toute liberté, si le peuple n'exerce pas un
pouvoir de contrôle, de blâme et enfin de renvoi. Quand je vote, je n'exerce
pas un droit, je défends tous mes droits. Il ne s'agit donc pas de savoir si
mon vote est perdu ou non, mais bien de savoir si le résultat cherché est
atteint, c'est-à-dire si les pouvoirs sont contrôlés, blâmés et enfin détrônés
dès qu'ils méconnaissent les droits des citoyens.
On conçoit très bien
un système politique, par exemple le plébiscite (1), où chaque citoyen votera
une fois librement, sans que ses droits soient pour cela bien gardés. Aussi je
ne tiens pas tant à choisir effectivement, et pour ma part, tel ou tel maître,
qu'à être assuré que le maître n'est pas le maître, mais seulement le serviteur
du peuple. C'est dire que je ne changerai pas mes droits réels pour un droit
fictif. "
Alain, Propos, Le
citoyen contre les pouvoirs
1. Vote par lequel un
peuple abandonne le pouvoir à un homme.
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