Mais
que devient, dit-on, « le droit de l’enfant » ? Le droit de
l’enfant n’est pas un droit abstrait, que nous ayons à
sauvegarder dans une société abstraite. C’est un droit vivant,
que nous avons à sauvegarder dans la société vivante et mêlée
d’aujourd’hui. Il est aussi impossible, aujourd’hui, d’isoler
le droit de l’enfant des traditions et conceptions diverses qui se
disputent l’humanité, qu’il est impossible d’isoler
l’enfant lui-même.
Dans
l’état présent de la société et de la famille, un droit de
l’enfant où la conscience de la mère n’interviendrait à aucun
degré est une chimère. Aujourd’hui, le droit réel, vivant, de
l’enfant, ce n’est pas d’être tenu, malgré la volonté du
père ou de la mère, en dehors de telle ou telle croyance ; car
comment couper les communications du coeur de l’enfant au coeur
maternel ?
Le
droit de l’enfant, c’est d’être mis en état, par une
éducation rationnelle et libre, de juger peu à peu toutes les
croyances et de dominer toutes les impressions premières reçues par
lui.
Ce
ne sont pas seulement les impressions qui lui viennent de la famille,
ce sont celles qui lui viennent du milieu social que l’enfant doit
apprendre à contrôler et à dominer. Il doit apprendre à dominer
même l’enseignement qu’il reçoit. Celui-ci doit être donné
toujours dans un esprit de liberté ; il doit être un appel
incessant à la réflexion personnelle, à la raison. Et tout en
communiquant aux enfants les résultats les mieux vérifiés de la
recherche humaine, il doit mettre toujours au-dessus des vérités
toutes faites la liberté de l’esprit en mouvement.
C’est
à cela que l’enfant a droit. Il ne dépend pas de nous de lui
épargner des crises, des conflits, des contradictions qui
travaillent toute l’humanité et dont nous-mêmes avons souffert.
Mais il faut que sa raison soit exercée à être enfin juge du
conflit. C’est parce que seul l’État démocratique n’est pas
nécessairement le prisonnier de telle ou telle doctrine, c’est
parce que seul il peut élever au-dessus des partis pris de religion,
de race ou de classe, l’idée de la liberté, la raison toujours
active, que je suis convaincu de plus en plus que le monopole
d’enseignement de l’État est aujourd’hui la garantie
nécessaire du droit de l’enfant.
Jaurès,
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