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samedi 17 janvier 2015

Education et droit de l'enfant


Mais que devient, dit-on, « le droit de l’enfant » ? Le droit de l’enfant n’est pas un droit abstrait, que nous ayons à sauvegarder dans une société abstraite. C’est un droit vivant, que nous avons à sauvegarder dans la société vivante et mêlée d’aujourd’hui. Il est aussi impossible, aujourd’hui, d’isoler le droit de l’enfant des traditions et conceptions diverses qui se disputent l’humanité, qu’il est impossible d’isoler l’enfant lui-même.
Dans l’état présent de la société et de la famille, un droit de l’enfant où la conscience de la mère n’interviendrait à aucun degré est une chimère. Aujourd’hui, le droit réel, vivant, de l’enfant, ce n’est pas d’être tenu, malgré la volonté du père ou de la mère, en dehors de telle ou telle croyance ; car comment couper les communications du coeur de l’enfant au coeur maternel ?
Le droit de l’enfant, c’est d’être mis en état, par une éducation rationnelle et libre, de juger peu à peu toutes les croyances et de dominer toutes les impressions premières reçues par lui.
Ce ne sont pas seulement les impressions qui lui viennent de la famille, ce sont celles qui lui viennent du milieu social que l’enfant doit apprendre à contrôler et à dominer. Il doit apprendre à dominer même l’enseignement qu’il reçoit. Celui-ci doit être donné toujours dans un esprit de liberté ; il doit être un appel incessant à la réflexion personnelle, à la raison. Et tout en communiquant aux enfants les résultats les mieux vérifiés de la recherche humaine, il doit mettre toujours au-dessus des vérités toutes faites la liberté de l’esprit en mouvement.
C’est à cela que l’enfant a droit. Il ne dépend pas de nous de lui épargner des crises, des conflits, des contradictions qui travaillent toute l’humanité et dont nous-mêmes avons souffert. Mais il faut que sa raison soit exercée à être enfin juge du conflit. C’est parce que seul l’État démocratique n’est pas nécessairement le prisonnier de telle ou telle doctrine, c’est parce que seul il peut élever au-dessus des partis pris de religion, de race ou de classe, l’idée de la liberté, la raison toujours active, que je suis convaincu de plus en plus que le monopole d’enseignement de l’État est aujourd’hui la garantie nécessaire du droit de l’enfant.


Jaurès,

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