De Gaulle, le 28 décembre 1958
Avant tout, Françaises, Français, je veux vous dire que
j'accepte le mandat que vous m'avez confié. Votre décision fut marquée lors de
la crise nationale du mois de mai, affirmée par le référendum, répétée par les
élections, précisée par le vote des élus dimanche dernier. La tâche nationale
qui m'incombe depuis dix-huit ans se trouve, de ce fait, confirmée. Guide de la
France et Chef de l'État républicain, j'exercerai le pouvoir suprême dans toute
l'étendue qu'il comporte désormais et suivant l'esprit nouveau qui me l'a fait
attribuer. (…)
Bien entendu, le danger s'étendait aux finances et à
l'économie. Dans les derniers jours de mai, nous étions, à cet égard, sur la
route de la catastrophe. La balance des comptes entre ce qu'il nous fallait
acheter au-dehors et ce que nous pouvions y vendre atteignait un déficit
apparemment irréductible, tandis que les prêts étrangers se trouvaient presque
épuisés. D'ailleurs, on ne voyait plus comment faire face normalement à toutes
les dépenses de l'État, les impôts n'y suffisant point et le crédit semblant
s'éteindre. Enfin, les prix ne cessaient pas de monter, ainsi que l'inquiétude
sociale. Brochant sur le tout, une certaine récession se faisait déjà sentir.
Le mouvement du mois de mai, s'il apparut d'abord en Algérie, procédait en
réalité de la conviction générale que le pouvoir était impuissant devant la
marée des menaces, y compris, naturellement, celles qui pesaient sur notre
économie.
La confiance du pays nous a permis, dans ce domaine comme
dans les autres, de renverser la tendance et de parer au plus pressé.
Cependant, la situation demeure précaire, c'est-à-dire dangereuse. Quand on
mesure les espoirs que nous apportent la nombreuse jeunesse venue au monde
depuis la guerre, le pétrole, le gaz et l'uranium découverts, notre outillage
en progrès, nos élites nouvelles surgissant du fond du peuple, notre
association avec la Communauté, l'élargissement imminent du marché européen, on
est saisi à la fois par l'impatience et la résolution.
Avec mon gouvernement, j'ai donc pris la décision de mettre
nos affaires en ordre réellement et profondément. Le budget en est l'occasion,
peut-être ultime, très bonne en tout cas. Nous avons adopté et, demain, nous
appliquerons tout un ensemble de mesures financières, économiques, sociales,
qui établit la nation sur une base de vérité et de sévérité, la seule qui
puisse lui permettre de bâtir sa prospérité. Je ne cache pas que notre pays va
se trouver quelque temps à l'épreuve. Mais le rétablissement visé est tel qu'il
peut nous payer de tout.
Au point de vue des charges publiques, rien ne saurait être
accepté qui aboutisse à l'inflation. Mais, en même temps, tout doit être fait
pour poursuivre, et même pour accroître, les investissements qui commandent
notre avenir, soit dans le domaine social : logements, écoles, hôpitaux, soit
dans le domaine économique : énergie, équipement, communications. En outre,
nous avons entrepris de transformer l'Algérie tandis qu'avance la pacification.
Encore. nous faut-il concourir à la mise en valeur des pays de la Communauté.
Enfin, nous ne pouvons pas, dans l'état où est l'univers, nous dispenser d'une
force militaire importante. Mais toutes ces obligations, jointes aux dépenses
normales de l'État, comporteraient, si nous laissions aller les choses, un
déficit de 1 200 milliards, soit deux fois plus que l'épargne n'est susceptible
de nous fournir. A moins de recourir à la ruineuse inflation ou de faillir à la
France, il n'y a rien d'autre à faire que de réduire de moitié le déficit
menaçant. C'est ce qui est décidé.
Tout à l'heure, M. Pinay, ministre des Finances et des
Affaires économiques, vous indiquera avec précision quelles dispositions sont
prises. En voici l'essentiel. Accroître les impôts sur les sociétés et sur les
revenus élevés. Taxer le vin, l'alcool, le tabac. Supprimer maintes subventions
accordées par le Trésor et qui s'appliquent, en particulier, à des produits de
consommation. Réduire la participation du budget au financement des entreprises
nationalisées, notamment des chemins de fer. Combler, dans le fonctionnement
des assurances sociales, le déficit dont les fonds publics ont à supporter la
charge. Inviter les anciens combattants qui sont pourvus du nécessaire et qui
ne sont pas invalides à renoncer à leur retraite ; les pensions des veuves, des
orphelins, des mutilés, restant, bien entendu, ce qu'elles sont. Abolir une
série de ces indexations qui ne sont, en réalité, que proclamations de méfiance
à l'égard de la monnaie. En revanche, augmenter de 245 milliards, c'est-à-dire
de 25 %, le montant des investissements qui sont notre richesse future et
ouvrent carrière à notre jeunesse. Voilà de rudes dispositions ! Je ne sais que
trop ce que, dans l'immédiat, elles coûteront à beaucoup. Mais je les crois
efficaces, je les tiens pour nécessaires, et je suis sûr qu'en définitive tout
le monde tirera profit de l'équilibre ainsi réalisé.
Comme on peut s'attendre à ce qu'il en résulte, au moins
momentanément, quelque hausse du niveau des prix, le gouvernement prend aussi
des mesures relatives au pouvoir d'achat, de celui surtout des Français dont le
revenu est le plus modeste. Le 1er février, le salaire minimum
interprofessionnel garanti sera accru en conséquence, tandis que, dès le 1er
janvier, les vieilles gens verront leur retraite majorée de 5 200 francs.
J'ajoute que va être créé, par coopération du patronat et des syndicats, un
fonds spécial destiné au maintien de l'emploi et assurant aux travailleurs qui
se trouveraient en chômage, un complément portant l'allocation aux environs du
salaire minimum. Quant aux personnels dépendant directement de l'État :
fonction publique, services, entreprises nationalisées, il est prévu, qu'à
partir du 1er février, leur rémunération sera, "ne varietur",
augmentée de 4 %.
Dans le monde d'aujourd'hui, rien ne vaut que par
comparaison. Or, nous sommes actuellement, vis-à-vis de l'extérieur, dans une
situation économique diminuée. Empêchés d'importer et d'exporter suffisamment,
endettés, privés de crédit, alors que nos produits, notre technique, nos
capacités, sont à hauteur de toutes les concurrences, nous sommes loin
d'atteindre au large niveau d'échanges qui développerait notre activité. Ce
qu'il y a d'artificiel dans la valeur de notre monnaie provient, certes, du
déséquilibre de nos affaires, mais n'en est pas moins une cause permanente de
difficultés.
C'est pourquoi, tout en remédiant au désordre fondamental,
nous devons placer notre franc sur une base telle qu'il soit inébranlable. Nous
le faisons donc, regrettant d'en abaisser le taux, mais tirant les conséquences
de négligences prolongées. Du même coup, notre monnaie devient convertible
au-dehors en toutes monnaies étrangères, en même temps et au même titre que
plusieurs de nos partenaires européens le font pour leur livre, leur mark, leur
lire, leur florin, etc. Au surplus, le vieux franc français, si souvent mutilé
à mesure de nos vicissitudes, nous voulons qu'il reprenne une substance
conforme au respect qui lui est dû. Avant la fin de 1959, apparaîtra le franc
nouveau valant cent francs d'aujourd'hui. Quant aux échanges avec l'étranger nous
avons pris la décision de les libérer à 90 % ouvrant les vannes au courant et
replaçant décidément la France, dans le domaine économique, à son rang
international.
Cet ensemble, dont toutes les parties se tiennent et se
complètent, cet ensemble est grave mais essentiel. Sans l'effort de remise en
ordre, avec les sacrifices qu'il requiert et les espoirs qu'il comporte, nous
resterons un pays à la traîne, oscillant perpétuellement entre le drame et la
médiocrité. Au contraire, si nous réussissons la grande entreprise nationale de
redressement financier et économique, quelle étape sur la route qui nous mène
vers les sommets ! C'est le voeu que je forme à l'adresse de toutes et de tous
tandis qu'approche la nouvelle année.
Peuple français, grand peuple ! fierté, courage, espérance
Vive la République !
Vive la France !
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