"trois cents filles, un grand soleil et pas une jupe qui virevolte dans
la cour de récré. Au collège Fabien à Montreuil (Seine-Saint-Denis)
comme dans tant d'établissements scolaires de banlieue, les adolescentes
cachent presque toutes leurs gambettes sous d'informes pantalons de
survêt. Ici, le jeu de la « carte », qui a envoyé sept collégiens au
commissariat en décembre dernier, a achevé de convaincre celles qui en
doutaient encore : le respect des garçons est une denrée rare et
fragile, qui se gagne, sont-elles persuadées, en évitant à tout prix «
de les provoquer ».
« Ce jeu, ça consistait à coincer une fille et à lui passer la
carte magnétique d'accès au collège entre les jambes » explique Kim, une
élève de troisième. « Des filles de 5 e ont craqué au bout d'un an et
en ont parlé à l'infirmière. Les mecs ont été virés ». Des incidents
aussi graves, il ne s'en est pas reproduit. Avec ses caméras et sa
flopée de surveillants, le collège est assez protégé. Des intervenants
ont d'ailleurs tourné dans toutes les classes pour expliquer qu'un «
viol était un acte intolérable, et qu'un attouchement forcé était une
forme de viol ». Mais le collège reste le seul endroit où filles et
garçons des cités alentours se retrouvent et les mains aux fesses sont
le lot quotidien de ces gamines qui évitent, en dehors des heures de
cours, de traîner dans les cages d'escalier. Une petite môme de 6 e
lève les yeux au ciel. « Au collège ils me piquent déjà mes devoirs, je
ne sais pas ce qu'ils me feraient dans les halls de la cité ! » Linda,
elle, est une des rares à ne pas se résigner, à oser le « genou dégagé »
campé sur des talons compensés. Mais Linda est grande, et « grande
gueule » aussi, reconnaît-elle. « Moi, je sais me faire respecter ! »
balance-t-elle avec assurance, les mains aux ongles vernis écaillés
campées sur les hanches. Jennifer et Mariam, fluettes et discrètes dans
son sillage, opinent. « Elle est trop forte. Nous, on n'ose pas mettre
de jupe. Sauf une fois, pour l'oral du rapport de stage. Mais à midi, on
est rentrées se changer. » Injuste ? La question ne se pose même pas
pour d'autres filles, qui finissent par trouver normal de se protéger
des garçons. Elles ont si bien intégré leurs insultes qu'elles sont
convaincues que les robes sont l'apanage des « taspé » (pétasse). « Les
filles qui montrent leurs fesses, faut pas qu'elles aillent se plaindre
tranche Kathy, l'air grave. Celles qui finissent sur le capot à côté du
collège, elles l'ont bien cherché ! » Quand on leur demande si elles se
sentent victimes de sexisme, Kathy et ses amies se regardent gênées et
répondent : « Ça veut dire quoi ce mot ? »
Bonne journée de la jupe !
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