Lorsqu'un
petit rocher, lourd et noir, portant son homard en anicroche, s'établit
dans une maison, celle-ci doit subir l'invasion d'un rire aux accès
argentins, impérieux et mornes. Sans doute est-ce celui de la mignonne
sirène dont les deux seins sont en même temps apparus dans un coin
sombre du corridor, et qui produit son appel par la vibration entre les
deux d'une petite cerise de nickel, y pendante. Aussitôt, le homard
frémit sur son socle. Il faut qu'on le décroche : il a quelque chose à
dire, on veut être rassuré par votre voix. D'autres fois, la provocation
vient de vous-même. Quand vous y tente le contraste sensuellement
agréable entre la légèreté du combiné et la lourdeur du socle. Quel
charme alors d'entendre, aussitôt la crustace détachée, le bourdonnement
gai qui vous annonce prêtes au quelconque caprice de votre oreille les
innombrables nervures électriques de toutes les villes du monde ! Il
faut agir le cadran mobile, puis attendre, après avoir pris acte de la
sonnerie impérieuse qui perfore votre patient, le fameux déclic qui vous
délivre sa plainte, transformée aussitôt en cordiales ou cérémonieuses
politesses... Mais ici finit le prodige et commence une banale comédie.
Francis Ponge 1962
C'était avant les smartphones...
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