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jeudi 20 mars 2014

Marselle, par Pierre Louis Rozinès, entre Boutheflika et Frankenstein




"La presse décrit Mennucci en Frankenstein du socialisme marseillais et Gaudin en Bouteflika démocrate chrétien semi momifié, mais personne ne se pose la question : quel est le mieux pour Marseille : Boutheflika ou Frankenstein ?
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Attablé dans un angle mort du quai de la mairie, j’ai pris le temps plutôt que de relire les épisodes précédents, et je n’ai rien eu à ajouter. Jusqu’ici, tout se passe comme prévu, en pire. Et chez moi, le pire suscite toujours un silence admiratif.
Je n’ai pas eu envie de faire le récit pendant trois mois des tribulations des candidats, de m’acharner sur les plus toxiques, les plus voraces, les plus bêtes, les plus lâches, les plus racistes, les plus menteurs, les plus voleurs, les plus cumulards, les plus moi d’abord, ni raconter entre les lignes les histoires de femmes de Mennucci, les histoires immobilières de Mennucci, les histoires de subventions de Mennucci, Mennuci et le Conseil régional, Mennucci et le Conseil général, Mennucci et les emplois fictifs, Mennucci et son garage, Mennucci et les associations, Mennucci et le juge Duchaine, Mennucci et la Mnef, Mennucci et DSK, Mennucci méprisé « off the record » par ses colistiers et haï « on the record » par ceux qu’il a trahis, Mennucci et ses arrangements permanents avec la vérité, Mennucci et son fameux « clan », Mennucci et son directeur de campagne, Mennucci et son entourage…
Ah, l’entourage… Evitez d’en avoir un, ça limitera les suspects. Et ça vous évitera également d’avoir à les nourrir, à les loger et à les blanchir.
Lire la presse ne fut pas de tout repos. Même sous le soleil rasant de « l’Escale marine », du bon coté du Vieux Port devant une myrthe blanche trop transparente pour n’être pas suspecte ou devant un « Piège à filles » rosé mais à bulles des « Buvards » qui tenait ses promesses.
Mennucci était décrit en Frankenstein du socialisme marseillais et Gaudin en Bouteflika démocrate chrétien semi momifié mais personne ne se posait la question : quel était le mieux pour Marseille : Bouteflika ou Frankenstein ?
*
A trois jours du premier tour, Bouteflika est plutôt favori devant Frankenstein.
S’il gagne, ce sera sans avoir eu à se combattre. L’esquive était sa seule option. Son adversaire aura donc été terrassé par lui même. En lui refusant un débat télé, Bouteflika a épuisé Frankenstein, rattrapé dans la dernière ligne droite par son ombre, dépassé par son passé, et, finalement, par les événements.
Depuis qu’il a gagné les primaires en octobre, Patrick Mennucci bat la campagne mais il fait du surplace. Plus il s’active, plus il se tasse dans les sondages, creusant ainsi avec Gaudin un écart à reculons de plusieurs points. On ne bâtit rien sur des sables mouvants.
J’ai regardé cet hiver la presse faire le récit de ses tribulations, les enquêtes assassines ici et là et je me suis posé deux questions : peut il gagner et surtout doit-il gagner.
Heureusement, le gong de fin du match évitera d’avoir à répondre à la seconde question.
Car en effet, entre la peste et le choléra, on est en droit jusqu’à la dernière minute d’hésiter, de s’interroger, de peser le pour et le contre.
Le bilan de Gaudin est objectivement infâme. Le choix aurait pourtant dû être rapide.
Il vend une ville qui n’existe pas, il est dans le déni de réalité, il assassine par étouffement, il règne par endormissement, il gère comme un petit bourgeois surendetté et il est l’otage de son personnel, cette chose appelée Force ouvrière. Pire encore, il s’en vante.
Sa seule erreur, durant la campagne éclair, fut d’ailleurs de se faire remettre ostensiblement et publiquement une carte d’honneur de ce syndicat qui gère, de fait, les principales administrations de Marseille, de sa communauté urbaine et de ses hôpitaux au profit unique de ses membres.
FO, synonyme de tous les dysfonctionnements. FO, Defferre l’a créé, Gaudin lui a cédé son fauteuil, et en plus il s’en est vanté.
La carte de FO, c’est plus qu’un aveu, c’est une faute. Mais Gaudin est un fanfaron enivré par un sentiment de toute puissance, enfermé qu’il est dans une bulle qui n’est pas de champagne.
En face, Mennucci a eu beau jeu d’endosser le rôle de celui qui terrassera l’hydre FO, sans tête avec ses molles tentacules qui sucent la ville.
Gaudin refusait de recevoir les autres syndicats, Mennucci a promis au contraire de tout remettre à plat, de supprimer la fameuse « co-gestion », ce terme technocratique pour cacher une gestion de fait par un syndicat d’employés municipaux au détriment de la collectivité.
Malheureusement, sa posture de monsieur propre n’aura pas tenu longtemps. C’est un candidat de sable. Il est dans la même connivence, la même consanguinité que son adversaire et c’est pour ça qu’il s’est effrité jour après jour un peu plus. Marseille est un village et si les marseillais sont menteurs, comme le veut la légende, comment mentir à un menteur ?
Pour preuve, ses annonces réformatrices n’ont jamais suscité l’enthousiasme alors qu’elles étaient toutes de bon sens.
Le public n’y croit plus en général et n’a jamais trop cru en lui en particulier. Et surtout, ils n’en n’ont jamais eu envie. Remplacer Gaudin par son clone, c’est comme prolonger un calvaire. Dimanche, s’il fait beau, il n’y a pas urgence à annuler la partie de pêche, telle est l’ambiance générale.
Mennucci avait un programme long comme le bras, mais son problème était ailleurs. Ayant tout promis à tout le monde, il lui fallait faire sur ses listes de la place chaque semaine pour le rallié ou l’oublié de dernière heure. La femme de son directeur de campagne ici, un repris de justice par là, un type de FO par ci, un faux écolo par là, un guériniste par ci, un autre par là.
Le portrait de Gaudin en fanfaron enivré par un sentiment de toute puissance, enfermé qu’il est dans une bulle s’appliquerait aussi à Mennucci et le tableau serait complet si on ajoutait qu’ils ont eu tous les deux la même revanche à prendre.
Gaudin n’était qu’un fils de maçon chez les bourgeois et Mennucci n’est que le fils de la secrétaire chez les defferistes. Ils ont baigné dedans, mais ils n’en n’étaient pas du sérail.
Parce que c’est un fin politicien, Gaudin s’est imposé comme candidat des petits blancs des quartiers sud sans faire peur aux indiens des quartiers nord, mais jamais Mennucci n’est parvenu à se faire accepter des siens, ni même se faire craindre, sauf du petit personnel.
Gaudin est le chef incontesté de sa majorité et il est au moins l’idole des petites vieilles et des promoteurs. Il n’a pas passé sa campagne à colmater sa liste, lui. Il l’a épuré chirurgicalement de ses éléments vieillissants ou dangereux, comme cet adjoint tellement pressant qu’on le croyait délégué au harcèlement sexuel.
Par contre, il a gardé son adjoint délégué au patrimoine, pas parce qu’il a l’âge des vieilles pierres dont il a la charge, mais par sagesse. En cas d’égalité au troisième tour, sa voix prédominante sera précieuse en cas d’absence de majorité lorsqu’il faudra élire le maire, mais on n’en n’est pas encore là…
*
On ne sera jamais assez sévère sur Gaudin et son bilan, et pourtant il est en passe de gagner la campagne ingagnable. Bercé par son personnage, dont il joue éternellement, il est parvenu à ne plus déranger.
Et puis à Marseille, l’immobilisme n’est pas un défaut et par ailleurs, les provençaux aiment trop les santons pour avoir envie de s’en débarrasser. Et c’est ainsi qu’il se succèdera vraisemblablement à lui même, comme Maryse Joissains à Aix.
Tout ça pour ça… Les municipales auront été une sorte de clôture de la fameuse année 2013, l’année où Marseille s’est aimée, l’année où M la maudite a cessé de l’être, avant de le redevenir.
Si les primaires d’octobre ont mis en lumière un usage nouveau qu’on pouvait faire du minibus, les municipales ont révélé au grand public l’ADN réel des listes de candidats. Fils et filles de, frères et sœurs de, femmes de, maîtresses de, chauffeur de…
C’est n’est plus une élection, c’est un banquet de famille avec au centre, un gâteau.
Ce qui aura caractérisé cette campagne, c’est aussi l’absence de vent. Dans aucun des deux camps on n’a senti un souffle de ce vent qui frémit généralement dans les voiles d’un des deux prétendants vers la fin d’une campagne.
Gaudin a fait une campagne de position. Il a déployé ses adjoints tandis que Mennucci a fait campagne sans adversaire. Ou plutôt cerné d’adversaires, ceux de son camp et ceux du camp d’en face.
Bardé de termes et de logiciels américains, il a été son propre directeur de campagne et à Paris, au PS, de Solferino à l’Elysée, on tout fait pour lui déminer le terrain. L’impayable tandem préposé aux tripatouillages et aux éliminations internes, Borgel et Fontanel, ont joué gros en misant tout sur sa victoire. Hollande lui-même s’est mouillé et ridiculisé en envoyant des SMS aux apparatchiks du modem local pour qu’ils rejoignent sa liste. Si Mennucci perd, la bonne nouvelle, c’est qu’ils seront nombreux à se partager l’addition. Mais on n’en n’est pas encore au digestif.
Mennucci avait une autoroute, mais à Marseille, on ne les finit jamais, les autoroutes. Il n’avait pas de vision, mais il avait un bon nègre et un programme pour tout. Il n’avait pas d’autorité mais il était autoritaire, il a tout promis à tout le monde, il a cédé à toutes les pressions.
Quand il a fait alliance avec les Verts, il s’est trompé d’écologiste. Avec Karim Zéribi, il a pris un Vert Monsanto qui lui coûtera des voix et des places. Les vrais Verts sont chez Pape Diouf, qu’il n’est pas parvenu à rallier à cause du fameux Zeribi, imposé par l’impopulaire Jean-Vincent Placé, apparachik en chef des écologistes et par Solférino. Vous suivez ? Non ? C’est normal, c’est de la mauvaise tambouille. Mais lorsqu’il s’est aperçu de son erreur, il était trop tard. Pape Diouf était entré sur le terrain et Zéribi, que la justice regarde de travers, avait réussi son hold-up.
En annonçant sa candidature, aussi floue et tardive soit elle, Pape Diouf ne ramassera que quelques points, mais ils les revendra cher au deuxième tour. Il placera quelques conseillers municipaux, Hollande et Mennucci lui promettront tout mais ce qu’il veut, ils n’en n’ont pas les clés.
Même la plus belle prise de Mennucci, la juge Laurence Vichnievsky, est passée presque inaperçue. Pêchée in extremis la veille de la clôture des listes début mars, il lui a juré propreté et probité, et même promis le poste de premier adjointe, mais c’était au moment même où la presse dégueulait de révélations sur lui. A tel point que je me suis demandé si elle n’était pas venue pour l’arrêter.
*
Mais aimer la politique, ce n’est pas trop s’attarder sur le spectacle de la tambouille et aimer Marseille, ce n’est pas se réjouir des gesticulations de ses élus pour qui cette campagne n’a rien de politique, c’est juste une question de vie ou de mort économique.
Le spectacle de cette campagne m’a laissé sans voix, mais pas sans pensées, et encore moins sans arrières pensées, et j’arrière pense qu’entre une peste qui s’éteint et un choléra qui frappe à la porte, la vieille peste est somme toute préférable. Pourquoi changer un personnel politique qu’on sait corrompu, clientéliste et incompétent ? Ne vaut-il mieux pas mieux, au fond, laisser en place une équipe rassasiée plutôt qu’ouvrir les portes à une horde affamée ?
De plus, la justice s’annonce, avec sa fourche et ses menottes. L’étau se resserre soudain autour de Gaudin le bétonneur. Ses satellites municipaux de construction viennent d’être discrètement placés sous instruction judiciaire, suivant les recommandations de la Chambre régionale des comptes, sur lesquelles il ironisait il y a encore trois mois.
Les juges rôdent, les vers remontent les plateaux cantine de la Sodexo des petits écoliers et il y a soudain une odeur de poubelles. En effet, telle une métaphore, c’est dans un incinérateur qu’ils pourraient tous finir.
Ce fameux incinérateur dont le dossier refait soudain surface en fin de campagne… Construit à Fos, contre l’avis de Guérini, dont le frère faisait dans la décharge avec Véolia… Gaudin était pour, Guérini était contre, et puis tout le monde est devenu pour. Il a couté très cher, il aurait fait l’objet de pots de vin qui toucheraient des élus PS autant que des élus UMP. Le couvercle est ouvert, l’instruction aussi, désormais.
Que Frankenstein l’emporte ou que ce soit Bouteflika, le prochain mandat sera donc très judiciaire, et c’est l’occasion de rappeler qu’on fête ces jours-ci les cinq ans de l’affaire Guérini, démarrée par une lettre prétendument écrite un jour de février 2009 par un mystérieux corbeau, tandis que Marseille était encore enneigée.
Cinq ans plus tard, le juge Duchaine continue à tirer sur le fil d’une pelote sans fin. Il a même interrogé par deux fois Mennucci pendant la campagne, vient-on d’apprendre, sur une histoire de commission dans cette affaire d’incinérateur.
Les faits sont cruels et la Justice aussi. L’incinérateur était un des points d’opposition entre le PS et l’UMP lors des précédentes municipales, et il revient les hanter six ans plus tard.
Marseille n’a jamais su éliminer ses déchets.
(à suivre)"

Par Pierre-Louis Rozynès
Le nouvel économiste.fr

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