A M. P. TCHÉKHOVA.
(Théodosie, 22 juillet 1888.)
Chère maisonnée,
Je
vous informe par la présente que je quitte demain Théodosie. C’est ma
paresse qui me chasse de Crimée. Je n’ai pas écrit une ligne et pas
gagné un kopeck; si mon ignoble flemme dure encore une ou deux semaines
je n’aurai plus un sou et la famille Tchékhov devra passer l’hiver à
Louka. Je rêvais d’écrire en Crimée une pièce et deux ou trois récits
mais il s’est avéré que sous le ciel du midi il est beaucoup plus facile
de monter tout vivant aux cieux que d’écrire une seule ligne. Je me
lève à onze heures, je me couche à trois heures du matin, je mange toute
la journée, je bois et je parle, je parle sans fin. Je suis devenu une
machine à parler. Souvorine ne fait rien lui non plus, et nous avons
ensemble résolu tous les problèmes. Une vie substantielle, pleine comme
un œuf, une vie qui vous tient... Farniente au bord de la mer,
chartreuses, petits vins blancs au rhum, feux d'artifice, bains, joyeux
soupers, excursions, romances, tout cela fait que les jours sont courts,
et passent sans qu’on s’en aperçoive ; le temps s’envole, s’envole, et
la tête sommeille au bruit des vagues et refuse de travailler... Tes
journées sont très chaudes, les nuits étouffantes, asiatiques... Oui, il
faut partir!
....
TECKHOV
Lettres de Crimée
La Crimée, Riviera des Russes.
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