"Je
ne crois pas que vous deviez dans ce moment changer l'ordre judiciaire ;
mais je pense seulement que vous devez étendre la faculté des choix.
Remarquez que tous les hommes de loi sont d'une aristocratie révoltante ;
si le peuple est forcé de choisir parmi ces hommes, il ne saura où
reposer sa confiance. Je pense que si l'on pouvait, au contraire,
établir dans les élections un principe d'exclusion, ce devrait être
contre ces hommes de loi qui jusqu'ici se sont arrogé un privilège
exclusif, qui a été une des grandes plaies du genre humain. Que le
peuple choisisse à son gré les hommes à talents qui mériteront sa
confiance. Il ne se plaindra pas quand il aura choisi à son gré. Au lieu
qu'il aura sans cesse le droit de s'insurger contre des hommes entachés
d'aristocratie que vous l'auriez forcé de choisir.
Élevez-vous
à la hauteur des grandes considérations. Le peuple ne veut point de ses
ennemis dans les emplois publics ; laissez-lui donc la faculté de
choisir ses amis. Ceux qui se sont fait un état de juger les hommes
étaient comme les prêtres ; les uns et les autres ont éternellement
trompé le peuple.
La
justice doit se rendre par les simples lois de la raison. Et moi aussi,
je connais les formes ; et si l'on défend l'ancien régime judiciaire,
je prends l'engagement de combattre en détail, pied à pied, ceux qui se
montreront les sectateurs de ce régime
Il
s'agit de savoir s'il y a de graves inconvénients à décréter que le
peuple pourra choisir indistinctement, parmi tous les citoyens, les
hommes qu'il croira les plus capables d'appliquer la justice. Je
répondrai froidement et sans flagornerie pour le peuple aux observations
de M. Chassey. Il lui est échappé un aveu bien précieux ; il vous a dit
que, comme membre du tribunal de cassation, il avait vu arriver à ce
tribunal une multitude de procès extrêmement entortillés, et tous viciés
par des violations de forme. Comment se fait-il qu'il convient que les
praticiens sont détestables, même en forme, et que cependant il veut que
le peuple ne prenne que des praticiens. Il vous a dit ensuite : plus
les lois actuelles sont compliquées, plus il faut que les hommes chargés
de les appliquer soient versés dans l'étude de ces lois.
Je
dois vous dire, moi, que ces hommes infiniment versés dans l'étude des
lois sont extrêmement rares, que ceux qui se sont glissés dans la
composition actuelle des tribunaux sont des subalternes ; qu'il y a
parmi les juges actuels un grand nombre de procureurs et même
d'huissiers ; eh bien, ces mêmes hommes, loin d'avoir une connaissance
approfondie des lois, n'ont qu'un jargon de chicane ; et cette science,
loin d'être utile, est infiniment funeste.
D'ailleurs
on m'a mal interprété ; je n'ai pas proposé d'exclure les hommes de loi
des tribunaux, mais seulement de supprimer l'espèce de privilège
exclusif qu'ils se sont arrogé jusqu'à présent. Le peuple élira sans
doute tous les citoyens de cette classe, qui unissent le patriotisme aux
connaissances, mais, à défaut d'hommes de loi patriotes, ne doit-il pas
pouvoir élire d'autres citoyens ? Le préopinant, qui a appuyé, en
partie les observations de M. Chassey, a reconnu lui-même la nécessité
de placer un prud'homme dans la composition des tribunaux, d'y placer un
citoyen, un homme de bon sens, reconnu pour tel dans son canton, pour
réprimer l'esprit de dubitation qu'ont souvent les hommes barbouillés de
la science de la justice.
En
un mot, après avoir pesé ces vérités, attachez-vous surtout à celle-ci :
le peuple a le droit de vous dire : tel homme est ennemi du nouvel
ordre des choses, il a signé une pétition contre les sociétés
populaires, il a adressé à l'ancien pouvoir exécutif des pétitions
flagorneuses ; il a sacrifié nos intérêts à la cour, je ne puis lui
accorder ma confiance. Beaucoup de juges, en effet, qui n'étaient pas
très experts en mouvements politiques, ne prévoyaient pas la Révolution
et la République naissante ; ils correspondaient avec le pouvoir
exécutif, ils lui envoyaient une foule de pièces qui prouvaient leur
incivisme : et, par une fatalité bien singulière ces pièces envoyées à
M. Joly, ministre de la tyrannie, ont tombé entre les mains du ministre
du peuple. C'est alors que je me suis convaincu plus que jamais de la
nécessité d'exclure cette classe d'hommes des tribunaux ; en un mot, il
n'y a aucun inconvénient grave, puisque le peuple pourra réélire tous
les hommes de loi qui sont dignes de sa confiance."
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