Penser, c’est dire non. Remarquez que
le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil
secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au
monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces
cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux
acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle
combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce
qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards,
ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne
cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de
moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie,
elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par
croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que
l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente
de sa pensée ne pense plus rien.
Émile CHARTIER dit ALAIN (1868-1951)
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