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jeudi 3 avril 2014

Pour une nuit du 4 août

Le 4 août 1789 la noblesse française a volontairement renoncé à ses privilèges.
Elle n'avait peut être pas vraiment le choix, mais sa démarche a été volontaire.
Un privilège est un avantage, autrefois donné par la société des hommes ,quand il n'a plus, le temps ayant passé, de contrepartie offerte.
A tous ceux, de droite ou de gauche, mais en tous cas d'en haut, qui nous disent que le monde ancien est mort et appellent les autres à l'effort, livrons le discours du duc d'Aiguillon prononcé devant l'Assemblée nationale.
Aux tenants des dividendes sans investissements, des statuts publics à vie sans le service, des offices, charges, mandats électoraux sans fin, de la mediacratie, de l'énarchie, etc...
Vous tous, et nous tous, qui de l'avantage sommes passés au privilège, écoutons cette vieille voix française dont les mots sont d'une lourde actualité:

"M. le Duc d'Aiguillon :

Messieurs, il n'est personne qui ne gémisse des scènes d'horreur dont la France offre le spectacle. Cette effervescence des peuples, qui a affermi la liberté lorsque des ministres coupables voulaient nous la ravir, est un obstacle à cette même liberté dans le moment présent, où les vues du gouvernement semblent s'accorder avec nos désirs pour le bonheur public.

Ce ne sont point seulement des brigands qui, à main armée, veulent s'enrichir dans le sein des calamités : dans plusieurs provinces, le peuple tout entier forme une espèce de ligue pour détruire les châteaux, pour ravager les terres, et surtout pour s'emparer des charniers, où les titres des propriétés féodales sont en dépôt. Il cherche à secouer enfin un joug qui depuis tant de siècles pèse sur sa tête ; et il faut l'avouer, Messieurs, cette insurrection quoique coupable (car toute agression violente l'est), peut trouver son excuse dans les vexations dont il est la victime. Les propriétaires des fiefs, des terres seigneuriales, ne sont, il faut l'avouer, que bien rarement coupables des excès dont se plaignent leurs vassaux ; mais leurs gens d'affaires sont souvent sans pitié, et le malheureux cultivateur, soumis au reste barbare des lois féodales qui subsistent encore en France, gémit de la contrainte dont il est la victime. Ces droits, on ne peut se le dissimuler, sont une propriété, et toute propriété est sacrée ; mais ils sont onéreux aux peuples, et tout le monde convient de la gêne continuelle qu'ils leur imposent.

Dans ce siècle de lumières, où la saine philosophie a repris son empire, à cette époque fortunée où, réunis pour le bonheur public, et dégagés de tout intérêt personnel, nous allons travailler à la régénération de l'État, il me semble, Messieurs, qu'il faudrait, avant d'établir cette Constitution si désirée que la Nation attend, il faudrait, dis-je, prouver à tous les citoyens que notre intention, notre vœu est d'aller au-devant de leurs désirs, d'établir le plus promptement possible cette égalité de droits qui doit exister entre tous les hommes, et qui peut seule assurer leur liberté. Je ne doute pas que les propriétaires de fiefs, les seigneurs de terres, loin de se refuser à cette vérité, ne soient disposés à faire à la justice le sacrifice de leurs droits...

D'après ces puissantes considérations, Messieurs, et pour faire sentir aux peuples que vous vous occupez efficacement de leurs plus chers intérêts, mon vœu serait que l'Assemblée nationale déclarât que les impôts seront supportés également par tous les citoyens, en proportion de leurs facultés, et que désormais tous les droits féodaux des fiefs et terres seigneuriales seront rachetés par les vassaux de ces mêmes fiefs et terres, s'ils le désirent ..
guillon, nuit du 4 août
C'est d'après ces principes, Messieurs, que j'ai rédigé l'arrêté suivant, que j'ai l'honneur de soumettre à votre sagesse, et que je vous prie de prendre en considération :

« L'Assemblée nationale, considérant que le premier et le plus sacré de ses devoirs est de faire céder les intérêts particuliers et personnels à l'intérêt général ;

Que les impôts seraient beaucoup moins onéreux pour les peuples, s'ils étaient répartis également sur tous les citoyens, en raison de leurs facultés ;

Que la justice exige que cette exacte proportion soit observée ;

Arrête que les corps, villes, communautés et individus qui ont joui jusqu'à présent de privilèges particuliers, d'exemptions personnelles, supporteront à l'avenir tous les subsides, toutes les charges publiques, sans aucune distinction, soit pour la quotité des impositions, soit pour la forme de leurs perceptions ;

L'Assemblée nationale, considérant en outre que les droits féodaux et seigneuriaux sont aussi une espèce de tribut onéreux, qui nuit à l'agriculture, et désole les campagnes ;

Ne pouvant se dissimuler néanmoins que ces droits sont une véritable propriété, et que toute propriété est inviolable ;

Arrête que ces droits seront à l'avenir remboursables à la volonté des redevables, au denier 30, ou à tel autre denier qui, dans chaque province, sera jugé plus équitable par l'Assemblée nationale, d'après les tarifs qui lui seront présentés....».


Faut-il désespérer que ces mots puissent être à nouveau criés ?

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